Les Filles De Caleb
Elle fit le tour de la classe pour s’assurer qu’il n’y restait aucun vestige des événements de la veille pouvant ranimer la peur chez les enfants. Tout était impeccable quand elle entendit les rires et les cris annonçant la nouvelle journée, le nouveau mois.
Elle fit la prière du matin et demanda aux enfants d’avoir une intention spéciale pour Lazare afin qu’il revienne rapidement en classe. Charlotte ferma les yeux. La grosse Marie fit le décompte de ceux qui avaient fermé les yeux. A la récréation, Emilie l’entendit dire qu’elle avait refusé de prier pour le retour de Lazare, ayant trop peur que les démons ne reviennent avec lui. Emilie la disputa et la pria de rentrer dans l’école pour réfléchir à ce qu’elle venait de dire. La grosse Marie lui répondit qu’elle savait qu’elle n’était pas la seule à avoir gardé les yeux ouverts. Emilie insista pour qu’elle aille réfléchir et la grosse Marie refusa, menaçant de dire à ses parents qu’elle invoquait le diable... Emilie perdit patience et lui tira une oreille. Marie cria comme une poule qu’on égorge et, au lieu d’entrer dans l’école, s’enfuit chez elle. Emilie se refusa à la suivre et à la supplier de revenir.
Pour dissiper le brouillard qui avait assombri sa classe, Emilie annonça que l’après-midi entier serait consacré au dessin. Les enfants quittèrent l’école en se chamaillant.
Émilie fut soulagée. Il n’y avait que quatre enfants qui mangeaient à l’école. Elle s’était vite rendu compte qu’ils jouaient dans les champs au lieu d’aller prendre leur repas chez eux. Elle en avait parlé au curé. Celui-ci lui avait dit que-s’ils n’allaient pas à la maison, c’était parce qu’il n’y avait généralement rien à manger. Émilie, sans demander la permission des commissaires, avait donc commencé à faire des soupes bien épaisses, pleines de gros morceaux de moelle et de légumes et elle leur en avait offert. Les enfants avaient promis le silence sur cette nouvelle coutume. Il lui semblait bien qu’ils avaient tenu parole, car elle n’avait jamais eu de plaintes.
En ce premier jour de mars, elle leur servait leur habituelle portion de soupe lorsque la grosse Marie revint en classe avec ses parents.
«Madame Lebrun, monsieur Lebrun, est-ce que je peux faire quelque chose pour vous?
— Vous, ma p’tite démonne, s’écria madame Lebrun, de quel droit avez-vous mis ma fille en pénitence...»
Émilie fit signe aux quatre enfants de sortir de l’école. Ils s’exécutèrent sans attendre.
«J’ai demandé à Marie de réfléchir à la charité, c’est tout.
— C’est pas vrai, répondit Marie en pleurant. Vous avez rien dit pour empêcher le diable de venir dans la classe. Vous m’avez donné une claque en pleine face parce que je vous ai dit que je voulais pas que le diable revienne...
— Marie, j’ai prié pour que Lazare guérisse. Je vous ai demandé de faire la même chose.
— Le grand mal, ma p’tite, jeta madame Lebrun d’un ton méprisant, c’est le mal du diable!
— Vous êtes une bien drôle de maîtresse, renchérit monsieur Lebrun. Vous claquez ma fille pour lui faire penser à la charité...
— C’est pas tout à fait ce qui s’est passé...» disait Émilie, quand monsieur Lebrun la gifla.
Elle demeura estomaquée. Elle n’avait jamais été giflée depuis sa mémorable prise de bec avec son père. Elle sentit la colère l’envahir, mais s’abstint de réagir.
«Pis? Est-ce que vous pensez à la charité?» Le cynisme et le regard de glace de monsieur Lebrun la firent frémir. Elle essaya de se dominer quand elle vit Marie sourire à travers ses larmes. Elle se frotta la joue, essayant de trouver réplique à une phrase si platement envoyée.
«Marie a manqué de charité envers Lazare. Lazare est pas responsable. Marie faisait peur à tout le monde avec ses histoires de diable.
— C’est pas des histoires! cria madame Lebrun. C’est pas la première fois qu’on a du monde comme Lazare Pronovost dans la paroisse. D’habitude, quand on voit une crise de grand mal, on envoie de l’eau bénite, pis on brasse la personne, pis je vous jure que ses esprits reviennent vite.
— C’est surprenant en baptême qu’une maîtresse d’école ait pas d’eau bénite dans sa classe, surtout quand elle sait qu’un de ses
Weitere Kostenlose Bücher