Les Filles De Caleb
lâcher prise. Les autres commissaires commençaient à s’agiter et à crier de plus en plus fort. Certains les encourageaient, d’autres essayaient de les dissuader. Émilie était sidérée. En quelques minutes, tous les hommes étaient dans la mêlée. Émilie entra en courant dans l’école et ressortit aussitôt avec la cloche. Elle sonna, sonna jusqu’à ce que tout le monde se calme. Les commissaires se regardèrent, hébétés. Puis Pronovost, Trudel et Gélinas éclatèrent de rire.
«Ça fait longtemps qu’on s’en est pas payée une de même, dit Trudel en tapant le dos de Gélinas.
— Mets-nous dans une école, pis on est comme des enfants, répondit Gélinas.»
Lebrun et les autres commissaires hésitèrent, puis se joignirent à l’hilarité des trois compères. Ils rentrèrent tous dans l’école, Lebrun soutenant Pronovost, les deux se remémorant des souvenirs d’enfance.
Émilie remplit son bol à main d’eau glacée et s’affaira à distribuer des guenilles bien mouillées à tous les éclopés pour qu’ils s’essuient nez ou jointures. Elle leur servit du thé, puis Trudel prit la parole afin de régler le litige de façon à permettre à tous de sauver la face. Il fut donc décidé qu’Emilie, parce qu’elle nourrissait des enfants et qu’elle demandait à ses élèves de fendre le bois, n’aurait pas de poêle dans ses locaux avant le début de la prochaine année scolaire. Tous savaient qu’il avait été décidé qu’elle n’aurait pas de poêle à l’étage avant septembre et ce, depuis que les commissaires avaient voté un montant d’argent lui permettant d’avoir du bois supplémentaire pour la saison. Emilie sourit à monsieur Trudel et chuchota un merci à l’oreille de monsieur Pronovost.
Ils rentrèrent chez eux en riant comme de vrais lurons au retour de la fête. Emilie soupira. Elle avait vraiment craint que monsieur Lebrun ne réussisse à mettre sa menace à exécution. Elle se donna pourtant un coup de poing sur la hanche pour se rappeler qu’elle devait apprendre à être plus patiente et surtout, éviter de tirer les oreilles de la grosse Marie.
6.
Lazare fit des crises à répétition. Dosithée et sa femme décidèrent qu’il resterait à la maison au moins jusqu’à Pâques. Lazare ne s’en plaignit pas. Il ne voulait plus retourner en classe par crainte des railleries des enfants. Il n’avait jamais su que des parents s’étaient querellés à cause de son mal. Tous les soirs, ses frères et sœurs lui apportaient leçons et devoirs et tentaient de lui expliquer, à leur façon, toute la matière vue en classe. Rosée et Ovila firent de leur mieux, mais Lazare passait de longues heures à bûcher sur des problèmes pour lesquels il n’avait pas reçu toute la préparation nécessaire.
Ovila proposa à ses parents d’inviter Émilie à la maison une ou deux fois par semaine pour qu’elle aide Lazare. Dosithée et Félicité refusèrent.
Émilie offrit ses services pour rester avec Lazare pendant que la famille assistait à la messe du dimanche. Elle convainquit les parents Pronovost après avoir longuement discuté de l’aide qu’elle pourrait ainsi apporter à Lazare dans ses travaux, sans oublier le nombre d’indulgences qu’elle pourrait ainsi gagner. Émilie n’assista donc à aucune messe durant le Carême. Elle ne s’en plaignit pas. Elle prit l’habitude de partager leur repas du dimanche midi. Ovide, qui avait cessé de taquiner Ovila, raccompagnait Émilie à l’école après chacun de ces repas.
Contrairement aux prévisions, le mois de mars n’avait apporté que deux tempêtes de neige. Les cultivateurs avaient saigné des érables avares de sève. Ils disaient que le Bon Dieu les punissait ainsi, à peu près une fois tous les dix ans, d’avoir enfreint les règlements du Carême en se sucrant le bec à la cabane.
Ovide avait invité Emilie à venir passer le dernier dimanche avant Pâques dans l’érablière familiale. Le repas dominical terminé, toute la famille, même Lazare, était montée dans le traîneau pour aller jusqu’au coteau. La neige avait fondu à un rythme tel qu’ils durent descendre à plusieurs reprises pour permettre aux chevaux de tirer le traîneau dans la boue. Dosithée décida de fermer la cabane. Emilie eut pour tâche de laver et d’entasser toutes les chaudières dans la remise. Ovila passait son temps à lui demander si elle avait besoin d’aide. Elle lui
Weitere Kostenlose Bücher