Les Filles De Caleb
pour t’aider à transporter ça jusque chez vous.»
Ovila décida de tenter le tout pour le tout.
«Je pense que j’aimerais revenir chercher la balance demain.» Il se trouva effrontément présomptueux, aussi s’empressa-t-il d’ajouter qu’ainsi il aurait des nouvelles fraîches au sujet de son frère.
Émilie n’insista pas, se contentant de soulever les épaules pour bien lui faire comprendre qu’elle n’avait plus autorité sur lui. Elle l’accompagna jusqu’à la porte qu’elle entrouvrit.
«Ça va vraiment faire un grand vide...
— Juste de six pieds», essaya-t-il de blaguer.
Émilie émit un petit ricanement un peu rauque.
«Eh! bien, Ovila, tu me forces à faire ce que je fais toujours quand j’ai un élève qui part.»
Elle s’étira le cou et lui déposa un baiser sur la bouche. Habituellement, elle se contentait d’une joue. Ovila la laissa faire quelques secondes, puis recula, déposa ses effets, s’approcha d’elle sans dire un mot, ferma la porte d’un coup de pied, lui encadra le visage de ses deux mains et l’embrassa doucement. Il se rendit à peine compte qu’elle avait enlacé ses épaules de ses bras tant son âme l’avait quitté pour rejoindre la voie lactée.
11.
Émilie, confuse, avait tenté d’ignorer la présence d’Ovila. Il n’avait cessé d’essayer d’emprisonner son regard mais elle avait toujours fui. Elle avait terminé sa quatrième année d’enseignement avec un entrain mitigé. Le départ d’Ovila avait quelque peu assombri son printemps. Maintenant qu’elle avait fait l’erreur de lui montrer qu’elle nourrissait à son égard un sentiment privilégié, elle s’était empressée de réhabiter son personnage de «maîtresse d’école», laissant dormir bien profondément la femme qui avait réussi à s’échapper un soir d’hiver. Elle avait refoulé toute l’euphorie qui s’était emparée d’elle après son manque de retenue. Si elle avait d’abord réussi à se convaincre qu’elle n’avait rien fait de mal, un grand malaise l’avait rapidement poursuivie pour finalement céder la place à l’invincible culpabilité. Elle n’avait même pas su faire confiance à Ovila, redoutant au point d’en faire des cauchemars, qu’il ne racontât à tous qu’elle s’était littéralement jetée dans ses bras. Elle avait donc décidé de ne jamais plus faire allusion à la chose. Elle avait aussi décidé de ne lui adresser la parole que lorsqu’elle ne pouvait l’éviter. Malgré son attitude, Ovila avait tenu ses promesses. Il l’avait conduite à la messe et avait entré la dernière corde de bois dans la classe et dans sa chambre. Mais c’est en vain qu’il avait tenté d’engager la conversation. Elle lui opposait un mur de mutisme et d’incompréhension.
Elle avait vu arriver juin avec un soulagement à peine dissimulé. Encore quelques semaines et elle serait de retour dans son cocon familial. Encore quelques semaines et elle pourrait oublier cette fin d’année si peu digne d’éloges.
Elle était allée saluer les Pronovost, les remerciant encore de leur fidèle attention. Depuis Pâques, ils avaient repris leur allant, Ovide étant hors de danger. Elle était rentrée à l’école au moment où son frère arrivait. Elle s’était étonnée de ne pas voir son père. Son frère lui avait répondu qu’il était maintenant en âge de prendre la relève. Emilie lui avait souri, soudainement consciente que lui aussi avait vieilli. Ils avaient donc fait le trajet ensemble, faisant une halte chez Lucie. Emilie avait ensuite pris les commandes de l’attelage qu’elle avait mené furieusement jusqu’à la maison.
«Ma foi, on dirait que tu as le feu quelque part.
— J’ai le feu nulle part, avait-elle répondu avec acidité. J’ai juste hâte d’arriver. »
Rentrée à la maison, Émilie avait défait son bagage avec empressement pendant que sa mère lui racontait toutes ses misères des mois passés. Émilie l’avait écoutée avec compassion. Émilie attendit quelques minutes et annonça à sa mère qu’elle irait chez Berthe immédiatement la vaisselle du souper lavée, trop impatiente pour attendre un lendemain encore lointain. Célina soupira devant ce qu’elle interpréta comme de l’indifférence de la part de sa fille et ne passa aucun commentaire.
Émilie marcha rapidement le mille qui séparait sa maison de celle de Berthe. Berthe avait la chance d’habiter
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