Les Filles De Caleb
faisait toujours le matin de la rentrée. Son purgatoire était fini. Ovila arriverait dans quelques semaines. Elle accueillit ses élèves avec joie et commença en riant cette cinquième année d’enseignement.
20 .
Emilie avait chanté sa bonne fortune jusqu’à la mi- octobre. Tous les matins, elle s’était dit qu’Ovila la surprendrait. Tous les soirs, elle s’était convaincue que la surprise serait pour le lendemain. Certaine de son arrivée imminente, elle écrivit à ses parents pour leur dire qu’elle passerait le congé de la Toussaint à Saint-Tite. À la fin octobre, elle avait commencé à désespérer. Aucune nouvelle d’Ovila et quatre lettres d’Henri. Elle avait toujours répondu à ce dernier, n’ayant pas à lui reprocher son assiduité. Henri lui écrivait des lettres tendres, remplies de poésie. Il la décrivait en termes flatteurs, se pâmant sur sa chevelure d’automne et ses yeux de printemps. Il lui parlait d’oiseaux et de nids, de brindilles de paille et de nichées. Il lui racontait des histoires comme si elle avait été une petite fille, décrivant, entre autres, la longue traversée de l’Atlantique faite par une bouteille scellée autour d’un message d’amour. Si Emilie avait d’abord été agacée de recevoir ses lettres, l’absence d’Ovila et sa désespérance lui avaient finalement fait apprécier la lecture des lettres d’Henri et même, elle dut en convenir, attendre leur venue. Le visage, l’allure et même l’odeur d’Ovila lui devinrent de plus en plus confus.
Le deux novembre, Fête des morts, elle accompagna les parents Pronovost au cimetière afin de se recueillir sur les tombes de leurs quatre enfants. Elle avait tenu à le faire
pour se pardonner de n’avoir pas assisté à l’enterrement de Marie-Anne. Ils étaient tous les trois agenouillés lorsqu’ils entendirent des cris suivis presque immédiatement du son angoissant de la sonnerie des pompiers et du tocsin de l’église. Ils se levèrent, se signèrent rapidement et se précipitèrent vers le couvent. Ce dernier était en flammes. Dosithée pria sa femme de s’éloigner et demanda à Emilie de la raccompagner au Bourdais. Félicité lui répondit qu’elle préférait demeurer sur les lieux, quitte à s’écarter s’il y avait danger, afin d’être disponible pour porter secours aux religieuses et aux pensionnaires le cas échéant. Dosithée, qui avait déjà enlevé son veston et retroussé ses manches de chemise, cria à Emilie d’aller chercher ses fils pour qu’ils viennent aider à combattre l’incendie. Elle obéit et mena la monture à folle allure jusqu’à ce qu’elle arrivât chez les Pronovost. Ovide et Edmond étaient dehors. Elle les pressa d’aller chercher Lazare, Emile et Oscar. Les frères réagirent sans poser de questions, sachant d’emblée que l’arrivée d’Émilie annonçait quelque chose de sérieux. Ils montèrent dans la voiture, aucun des garçons ne songeant à prendre la place d’Émilie qui remit l’attelage en marche en direction du village. Elle n’eut pas besoin de fournir d’explications sur cette chevauchée car déjà une épaisse fumée indiquait la nature et l’urgence de leur déplacement. Ils arrivèrent sur les lieux du sinistre en même temps que des dizaines d’autres villageois. Le travail s’organisa rapidement. Les pompiers donnaient les ordres et plaçaient les hommes aux points stratégiques. Les charretiers s’affairaient autour de leur tout nouveau véhicule à incendie, les uns déroulant les boyaux, les autres faisant la navette entre le couvent et la rivière Des Envies pour remplir leur baril de cent gallons. Le dernier pompier arrivé sur les lieux, toutefois, dut consacrer la majeure partie de son temps à calmer les chevaux. S’ils étaient d’une fiabilité sans conteste pour conduire le camion sur les lieux d’un incendie, ils s’agitaient dangereusement dès qu’ils devaient s’approcher du brasier.
Les volontaires, Dosithée en tête, formaient deux longues chaînes. Les hommes de la première chaîne faisaient parvenir le plus rapidement possible des sceaux d’eau vers le feu, ceux de la seconde retournaient les contenants vides à la source d’approvisionnement. Ovide et ses frères prirent place dans ces lignes, l’aîné évitant, à cause de ses poumons, de se tenir à proximité des tonneaux de fumée.
Le travail des femmes s’organisa différemment. Elles convertirent la
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