Les Filles De Caleb
avait mis ses gants blancs et lui avait demandé la main d’Émilie. Caleb lui avait répondu qu’il acceptait à la condition qu’Émilie fût d’accord. Caleb lui demanda son avis. Émilie rougit, regarda Douville et répondit qu’elle l’était, mais qu’elle préférait prendre l’année pour y penser. Elle rassura Douville en lui disant qu’elle aurait vingt ans en décembre et qu’elle avait l’intention de terminer son année à Saint-Tite. Elle ajouta que rien ne pressait, qu’ils pourraient fort bien se marier à la fin juin 1900. Elle se mit à rire nerveusement en ajoutant que cela simplifierait les calculs. En se mariant en 1900, ils sauraient toujours à quel anniversaire ils en seraient rendus. Douville soupira. Il fut convenu qu’ils se fianceraient à Noël.
Caleb avait connu Émilie et Ovila. Maintenant il voyait sa fille avec Douville et n’osait avouer qu’il avait un petit faible pour le premier de ses soupirants. Douville était un homme très bien, certes, mais sa fille n’était pas la même. Douville lui assurerait un bel avenir, mais Caleb n’était pas certain qu’Emilie avait ce qu’il fallait pour vivre avec un homme aussi raisonnable et aussi sage. Il entrevoyait déjà quelques flammèches. Henri ne connaissait pas la fougue de sa fille. Caleb s’inquiéta de savoir s’il y avait encore de cette fougue chez Emilie. Elle était devenue tellement posée, tellement «demoiselle». Elle parlait presque une autre langue que sa langue maternelle quand Douville était là. Lui, c’était certain, parlait «dans les termes», mais chez Émilie, cela faisait drôle à entendre. Caleb parla du mariage à Célina. Celle-ci ne semblait pas nourrir les mêmes appréhensions que son mari. Elle admirait Douville et rappela à Caleb qu’une femme devait admirer son mari si elle voulait être heureuse. Elle parla vaguement d’Ovila en disant qu’il semblait être un aventurier et qu’Emilie avait besoin d’un mari stable comme Henri. Caleb n’en était pas si certain. Il trouvait bien mystérieux ce départ précipité.
Emilie et Douville avaient convenu qu’il était préférable qu’il s’abstienne de la visiter à Saint-Tite. Ils se reverraient aux Fêtes. Par contre, il pouvait lui écrire autant qu’il le voulait, sur du papier officiel, bien entendu. A la suggestion d’Emilie, ils ne parleraient de leurs fiançailles à personne. Douville avait compris cette restriction. Une telle nouvelle aurait pu compromettre ses chances de se mériter une prime.
Henri et Emilie se quittèrent la veille du retour de celle-ci à Saint-Tite. Elle lui avait permis de l’embrasser, ce qu’il avait fait avec une pudeur tout à son honneur. Il aurait pu profiter de l’absence de chaperon pour mordre plus goulûment à ses lèvres. Il s’en était abstenu. Émilie lui en fut reconnaissante. Elle l’avait regardé partir. Dès qu’il lui avait tourné le dos, elle s’était essuyé la bouche et s’était mordu les lèvres à plusieurs reprises comme si elle voulait en vérifier la sensibilité. Elle n’avait rien senti. Rien ressenti. Mais il était tellement bon...tellement généreux. Et Paris...
19.
Emilie revint à l’école sans grand enthousiasme. Cette année d’enseignement s’annonçait un peu comme un purgatoire. Elle avait pris des nouvelles d’Ovila dont le départ remontait à presque un an. Madame Pronovost lui avait dit qu’il avait fait une courte visite durant l’été, le temps de guérir complètement une blessure qu’il s’était infligée au chantier. Emilie l’avait pressée de lui donner quelques détails, essayant de demeurer impassible lorsqu’elle apprit qu’il s’était entaillé le pied avec une pioche. Félicité avait précisé qu’il n’était resté que quelques jours, mais qu’il en avait profité pour aller faire un petit tour à l’école, en utilisant la clé qu’elle leur avait confiée. Émilie s’était excusée, puis les avait quittés pour aller ranger tous ses effets.
En mettant les pieds dans l’école, elle déposa ses valises, fit le tour de la classe des yeux pour voir si Ovila ne lui avait pas laissé quelque chose. Rien. Elle monta l’escalier, repoussa la trappe et pénétra de peine et de misère dans ses appartements, traînant ses lourdes valises. Ici non plus, il n’y avait pas de traces d’Ovila.
Elle consacra la soirée entière à laver la vaisselle, ranger ses vêtements et préparer son
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