Les Filles De Caleb
le souffle et empêchant son cœur de battre doucement.
Ils avaient réussi à trouver les pupitres manquants, les avaient montés dans la voiture et étaient de retour à l’école. Emilie se demandait encore pourquoi Ovila était venu s’y asseoir durant l’été. Dosithée la précéda, transportant le premier pupitre. Emilie le suivit avec une chaise. Ils firent les autres voyages en silence. Ils déposèrent le tout à l’arrière de la classe. Dosithée offrit à Emilie de l’aider à les placer. Elle le remercia, lui disant qu’elle préférait faire cela seule. Elle disposait de tout l’après-midi pour organiser la classe et écrire son mot de bienvenue sur l’ardoise. Dosithée la quitta après lui avoir gentiment pincé la joue. Elle lui sourit, se demandant s’il n’avait pas voulu lui faire comprendre qu’il n’était pas dupe et avait compris qu’il y avait eu quelque chose entre elle et Ovila. Elle monta à l’étage pour changer de vêtements. Elle descendit deux marches, puis s’assit dans l’escalier. Etait-il venu s’y asseoir lui aussi? Elle regarda sa classe, de haut. Elle fixa le pupitre d’Ovila. Elle l’imaginait en train d’écrire. Elle le revoyait le bras levé pour répondre à une question. Elle revivait ses moindres petits gestes, allant de la main qu’il se passait dans les cheveux pour les mettre en place quand il arrivait le matin, à son empressement à ouvrir ou à fermer une fenêtre.
Le cœur d’Emilie fui frappé par l’éclair. Elle se leva précipitamment, descendit les escaliers à la course, se dirigea vers le pupitre d’Ovila et l’ouvrit. Elle était là! Une lettre! Une lettre d’Ovila! Enfin! Troublée, elle se laissa choir sur la chaise. Elle tourna et retourna la lettre dans ses mains. Elle la sentit. Son cœur battait la chamade. Elle froissa la lettre et la défroissa. Elle défaillait. Elle respira enfin profondément et déchira l’enveloppe, adressée à EMILIE, avec un dessin d’oiseau.
Les grillons s’étaient donné le mot pour mettre en musique les pensées d’Émilie. Elle s’était couchée tôt, contrairement à ce qu’elle avait prévu. Elle s’était d’abord hâtée de placer sa classe puis elle s’était dévêtue lentement, valsant quelques pas en tenant la lettre près de son cœur. Elle avait voulu se coucher pour laisser voguer son imagination. Ovila était là tout près d’elle. Ovila lui parlait. Ovila lui racontait sa honte et son désespoir. Ovila lui demandait s’il lui avait manqué. Il implorait son pardon de l’avoir si lâchement laissée tomber. Puis il racontait le chantier de bûcherons. Et la drave. Et le chantier de cette centrale dont elle ne connaissait pas encore le nom mais qui, disait- il, produirait assez d’électricité pour éclairer une grande ville. Ovila lui avouait ensuite qu’il regrettait de lui avoir dit tant de bêtises. Il lui demandait si elle avait toujours les cheveux longs et si elle se faisait encore des tresses quand elle était fatiguée, comme elle le faisait avant. Il la suppliait de l’attendre encore un peu. Pas longtemps. Le temps qu’il puisse mettre de côté l’argent dont «ils» auraient besoin. Ovila...
Elle s’était tournée en boule, bien repliée sur elle-même pour sentir son corps qui venait d’avoir une attaque de sève. Elle se tenait l’échine courbée, le menton appuyé sur ses genoux, la lettre collée à la peau sous sa robe de nuit. Pas une seconde elle n’avait pensé à Henri. A la promesse presque formelle qu’elle lui avait faite. Elle rêvait d’Ovila.
De sa démarche nonchalante. De son regard bleu et clair. Elle se retourna, ouvrit les yeux et essaya d’imaginer les traits d’Ovila. Elle en fut presque incapable. Cela l’angoissa. Avait-elle pu l’oublier si rapidement? Et lui, se souvenait-il d’elle, l’imaginait-il comme elle le faisait en ce moment? Vivement son retour! Elle se leva, but un verre d’eau et se recoucha. Elle chercha le petit coin qu’elle avait réchauffé, se faisant croire qu’Ovila s’y était glissé.
Le matin la surprit alors qu’elle était endormie sur le dos, la robe de nuit levée jusqu’au menton. Pudeur instinctive: elle l’abaissa aussitôt. Elle se leva, langoureuse comme si elle avait vraiment passé la nuit avec son grand fou. Elle chantonna en faisant ses ablutions. Elle descendit dans sa classe et remercia le ciel de l’avoir emplie de soleil. Le parquet brillait, comme il le
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