Les fils de Bélial
singulièrement soulagé. Allons, l’hypocrisie des deux hommes cessait. Le roi s’estima contraint de dire quelque chose. Il le fit avec des sanglots, des soupirs. On eût dit un malade sentant venir l’instant de l’extrême onction.
– Ah ! Beaux seigneurs, dit-il, il vous faut en aller pour renforcer et aider le prince de Galles contre moi. Il m’en pèse. Qu’il soit contre moi, je ne le puis amender. Mais vous pouvez, à mon avis, vous excuser à lui de me faire la guerre, quoique vous soyez ses hommes liges. Car un chevalier n’est pas tenu de s’armer pour son seigneur en pays étranger, s’il ne lui plaît, sinon contre celui qui lui aurait enlevé ou voulu enlever son héritage, ce dont je ne fis jamais rien au prince. Il est bien vrai que si un seigneur mène la guerre en pays étranger, contre un seigneur qui ait tenu en d’autres guerres des gens du pays de celui qui le guerroie, quand le seigneur commence la guerre contre celui qu’ils ont servi, ils le doivent laisser, mais pourtant, ils ne se doivent armer contre lui.
« Il a peur », songea Tristan. « Il est mort de peur ! »
– Sire, dit Calveley en s’inclinant bien moins que de coutume, nous ferons pour vous, notre honneur sauf, ce que nous pourrons faire.
Il s’était exprimé d’une voix détachée. La crainte du roi empira :
– Seigneurs, dit-il enfin, s’adressant encore aux Anglais, vous êtes mes hommes liges pour les châteaux que je vous ai légués. Pour ce, je vous prie qu’en sortant de mon pays vous ne me fassiez aucun dommage, car vous savez que je vous ai loyalement payés. Et d’autre part, si d’aventure vous avez l’intention de vous armer contre moi, en dégageant votre foi, rendez-moi à temps les villes et les châteaux que je vous ai donnés, que je n’en puisse être endommagé, ni vous-mêmes blâmés.
Restant silencieux, les Anglais acquiescèrent (457) . Mais des sourires mal maîtrisés frémissaient sur leurs bouches. Tristan se dit que le sang de routier qui échauffait leurs veines les pousserait à commencer la guerre dès le lendemain.
Il se leva de bon matin. Sitôt sur les murailles de Haro, Paindorge à son côté, il contempla la campagne. Par le fait de l’hiver, elle était comme en friche. De grosses étendues de neige subsistaient dans la plaine et les collines portaient des huves blanches à leur sommet.
– Qu’ils crèvent de froid ! broncha Paindorge. Cela fera quelques centaines de Goddons de moins.
La vieille haine le reprenait, d’autant plus forte qu’il s’était senti, pendant des mois, en amitié avec ces hommes.
– Calveley ne vous a pas dit adieu. Ni Shirton.
– Je préfère qu’il en soit ainsi. C’est éviter la tristesse d’une séparation.
Et prenant l’écuyer par l’épaule, Tristan le poussa vers l’escalier :
– Viens, allons au conseil. S’il est un émoi qui réchauffe mon cœur, c’est celui du roi. Il n’est pas abandonné, mais il se sent perdu.
Assis à la grande table moins bruyante que la veille les capitaines buvaient qui une soupe, qui du vin chaud. Il y avait là, autour du roi, Guesclin, le Bègue de Villaines, Audrehem et l’inséparable Jean de Neuville, Olivier, Henri et Alain de Mauny, Guillaume Boitel, Silvestre Budes, Guillaume de Laurloy, Guichard de Normandie et des Espagnols. Il semblait que les « petits » seigneurs faisaient une apparition. Les avait-on cherchés ou étaient-ils venus d’eux-mêmes ?
– Beaux compères, dit le roi, je vous prie que vous me conseilliez. J’ai grand besoin d’avis. Le prince de Galles m’a défié fièrement. Jamais armée telle ni mieux appareillée n’entra en Espagne depuis qu’elle fut gagnée par le roi Charlemagne. Il y vint en si grande puissance que Dieu, pour lui, fit des miracles. Or, Dieu nous soit en aide et la Vierge sainte ! Mon cœur les en supplie d’autant plus véritablement que je suis menacé d’or gueilleuse partie. Le prince de Galles est le plus hautain, le plus hutin qui soit en vie, présentement, celui qui a le plus grevé le noble royaume du roi de France, que le Ciel bénisse !
– Que le Ciel le bénisse ! approuva Guesclin.
Les hommes s’observaient. Les Espagnols, sous des sourires intermittents, cachaient péniblement leur inquiétude : ils savaient que s’ils tombaient au pouvoir de don Pèdre, leur vie s’achèverait dans des tourments dont les seuls préparatifs les épouvanteraient. Les autres
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