Les fils de Bélial
pourrait découvrir l’accès…
Tristan refusa de la tête.
– J’ai promis, messire… J’ai vu, hélas ! ce que fut l’ auto da fe de Briviesca où Guesclin ne fit aucune différence entre les Chrétiens et les Juifs. Où les hommes des Compagnies se livrèrent à un pillage qui fut une énormité… Ils s’en prennent aux cités parce qu’ils sont certains d’y trouver des richesses et de faire couler abondamment le sang… Voyez : je vous mets en garde…
Pedro del Valle sut qu’il n’y avait pas à discuter. Tristan fut consterné de son propre acharnement. Il ajouta, cependant – pour se rassurer lui-même :
– Nous sommes en nombre pour défendre ces enfants, car ce qui peut nous advenir, c’est une malencontreuse embûche… Nous partirons demain matin.
– À votre aise, amigo, mais vous commettez une erreur. Je vous mettrai sur le chemin de Guadamur. Ensuite…
– Puisse Dieu nous venir en aide !
II
Midi. Après que les hommes, recrus de lassitude, se furent levés tard, la matinée s’était passée en préparatifs de toute sorte. Les adieux s’étaient prolongés. Maintenant, à cheval, on traversait la ciudad. Tout de même que la veille, Tristan n’y sentait ni l’oppression d’un roi sanguinaire ni la langueur de l’Islam ni le laisser-aller d’une juiverie semblable à celles des grandes cités de France que ses pairs horrifiés nommaient des cloaques.
Il ne reverrait jamais Tolède ; aussi s’emplissait-il les yeux de ce qui composait cette ville – la plus belle qu’il eût vue. Les dorures entraperçues des églises, les céramiques des mahomeries, d’un bleu profond, azuré par l’âge, la blancheur veloutée des synagogues et l’éclat de toutes ces voûtes vénérables, quel que fût le dieu qu’elles exaltaient, s’imprimaient dans sa mémoire.
Monté sur un genet noir harnaché simplement, l’obligeant armurier les guidait à travers des rues étroites où retentissaient les tintamarres des heaulmiers et des dinandiers. Les devantures de leurs officines resplendissaient comme des dressoirs sous les feux du soleil, et la foule serrée se fût, semblait-il, méprisée de chercher l’ombre des encorbellements. Des enfants couraient, harcelant Paindorge et Petiton, tout en exaltant les merveilles des couteaux, des poignards qu’ils leur présentaient par la pointe, et parmi tant de bruits, de rires, de hurlades, leurs voix pointues, elles aussi, parvenaient à percer cette grande rumeur d’une vie qui se maintenait en dépit des saignées prodiguées par deux hommes qui, tout bien pesé, ne méritaient ni l’un ni l’autre la couronne de Castille. Ici, des femmes s’étaient groupées devant l’échoppe d’un écrivain public ; là, assis sur un parapet de la plaza de Zocodover, trois mendiants aux yeux hantés d’une curiosité sauvage semblèrent deviner la jouvencelle sous le pourpoint, les chausses et les heuses de Teresa.
– L’ombre vous manquera, dit Pedro del Valle. Il est dommage que vous commettiez une erreur. Je vous aurais fait visiter la cité.
– En partant maintenant, et pour ce qui me concerne, je réduis les regrets que j’aurais éprouvés.
Des femmes traversaient le pont d’Alcântara. Tandis qu’il admirait leur grâce voluptueuse, Pedro del Valle vint à la hauteur de Tristan :
– La langue castillane est fertile en mots pour louer la beauté des femmes. Garbo, c’est la grâce unie à la noblesse, zandunga, la grâce particulière aux dames d’Andalousie, un mélange de souplesse et de nonchalance, salero, la volupté provocante, donaire, le maintien et l’enjouement. On célébrera le garbo ou le donaire d’une noble dame, le salero d’une parvenue, la zandunga d’une fille de Jerez. Il faut être Espagnol pour épouser une femme de chez-nous.
C’était possible. Quel homme épouserait Cristina ? Quel homme épouserait Teresa ? Elles étaient belles. Il ne savait si elles avaient du garbo, du donaire ou de la zandunga, mais elles étaient belles l’une et l’autre, et attirantes, et il eût bien « aimé » l’une ou l’autre avec son consentement. Luciane était si loin et Ogier, qui eût pu veiller sur la fidélité de son gendre, si loin aussi…
Il s’aperçut que Pedro del Valle lui parlait.
Nous allons suivre un moment le cours du Tage, puis nous cheminerons dans des sentiers tracés parmi des roches. Tout en haut, je vous quitterai.
Ils
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