Les fils de la liberté
il y a aussi beaucoup de choses qui sont restées les mêmes. Comme là-haut, répondit-il en montrant les montagnes. Elles sont exactement comme dans mon souvenir. Tout comme les oiseaux dans les arbres, les saumons qui sautent dans la rivière. En posant le pied de l’autre côté de cette passerelle, ce serait comme si j’étais passé par là hier. D’ailleurs, c’était hier. Et pourtant… ils sont tous morts. Tous. Morag. Mes enfants. Ils ne sont plus de ce monde. Sauf si je parviens à rentrer.
Elle n’avait pas prévu de lui poser la question, préférant attendre Roger et qu’ils puissent avoir une vraie conversation le soir une fois les enfants couchés. Cependant, l’occasion se présentait d’elle-même. Roger avait emmené Buck en voiture dans les Highlands autour de Lallybroch, puis ils étaient descendus dans la vallée du Great Glen, longeant le loch Ness avant de s’arrêter au barrage de loch Errochty où elle travaillait. Il l’avait alors déposée et elle rentrerait avec lui à l’heure du dîner.
Ils en avaient discuté la veille au soir, chuchotant dans leur chambre. Pour leur entourage, il serait un parent de papa en visite, ce qui était vrai. En revanche, ils n’étaient pas tombés d’accord au sujet du tunnel. Roger voulait l’y emmener, elle était contre, se souvenant du choc qu’elle avait ressenti, de la sensation d’être découpée vivante avec un fil d’acier. Elle n’avait toujours pas arrêté sa décision.
Mais puisqu’il abordait de lui-même la question de son retour…
Elle lui demanda :
— Quand vous êtes revenu à vous après votre… votre traversée et que vous vous êtes rendu compte de ce qui s’était passé, pourquoi n’avez-vous pas retraversé le cercle de pierres ?
Il haussa les épaules.
— J’ai essayé. Il m’a fallu plusieurs jours pour comprendre ce qui m’était arrivé. Je savais juste que quelque chose de terrible s’était produit et que cela avait un lien avec les pierres.Je me méfiais donc d’elles, comme vous l’imaginez, conclut-il en lui lançant un regard.
Elle hocha la tête.. Elle le comprenait parfaitement. Elle-même refusait d’approcher à moins d’un kilomètre d’un menhir dressé, sauf s’il fallait sauver un être cher d’un terrible sort. Et même dans ce cas, elle y réfléchirait sans doute à deux fois. Elle chassa rapidement cette pensée et reprit son interrogatoire.
— Quand vous avez voulu les retraverser, que s’est-il passé ?
Il leva les mains dans un geste d’impuissance.
— Je ne sais pas comment le décrire. Je n’avais jamais rien vécu de la sorte.
— Essayez quand même, insista-t-elle…
— Je suis remonté vers le cercle. Cette fois, je pouvais entendre les pierres. Elles se parlaient, bourdonnant comme une ruche, un son qui donnait la chair de poule.
Il avait eu envie de tourner les talons et de prendre ses jambes à son cou mais, songeant à Morag et à Jemmy, il avait continué. Il s’était avancé au centre du cercle où le son l’avait assailli de toutes parts.
— J’ai cru que j’allais devenir fou. J’avais beau me boucher les oreilles, rien n’y faisait. C’était comme si le bruit était à l’intérieur de moi, émanant de mes os.
Il se tourna brusquement vers elle.
— Pour vous aussi, c’était comme ça ?
— Oui, plus ou moins. Continuez. Qu’avez-vous fait alors ?
Il avait aperçu la grande pierre fendue à travers laquelle il était passé la première fois et, prenant une grande inspiration, s’était élancé vers elle.
— Qu’on me pende si je mens mais je suis incapable de vous dire ce qui s’est passé ensuite. Je me suis retrouvé étendu dans l’herbe au milieu des pierres, en feu.
Elle sursauta.
— Littéralement ? Je veux dire, vos habits brûlaient ou était-ce simplement…
— Je sais ce que veut dire « littéralement », l’interrompit-il vexé. Je ne suis peut-être pas comme vous mais j’ai été éduqué.
— Pardonnez-moi.
Elle lui adressa un petit sourire contrit et lui fit signe de reprendre son récit.
— J’étais donc littéralement en feu. Ma chemise brûlait. Regardez…
Il ouvrit son coupe-vent, déboutonna la chemise en batiste bleue prêtée par Roger et l’écarta pour lui montrer une tache rougeâtre sur son torse. La brûlure cicatrisait. Il allait se reboutonner quand elle l’arrêta d’un geste et se pencha pour l’examiner de plus près. La tache était centrée sur son
Weitere Kostenlose Bücher