Les fils de la liberté
mais qu’il le fallait.
— Serait-il présomptueux de ma part de te demander pourquoi il le faut ?
Ses yeux étaient légèrement plus ouverts et plus ambrés que d’ordinaire. Il avait réveillé le faucon en elle. Il n’en avait pas eu l’intention et il hésita un instant, tenté de fuir sa propre confusion en se lançant dans une scène de ménage tonitruante. Il ne pouvait le faire en son âme et conscience, pas plus qu’il ne pouvait lui expliquer le souvenir du visage de Laoghaire le jour de leurs noces, cette confiance dans son regard et la sensation tenace qu’il avait trahi cette confiance.
— Tu peux me demander tout ce que tu veux, Sassenach , et tu ne t’en es jamais privée. Je te répondrais si je pouvais l’expliquer d’une manière cohérente.
Les pupilles dilatées, elle fit une moue dépitée puis déclara sur un ton faussement neutre :
— Si tu veux savoir avec qui elle couche, il y a des moyens plus détournés de l’apprendre.
— Je me fiche de savoir avec qui elle couche.
— Tu parles !
— Je te dis que non !
— Menteur, menteur, va donc voir chez ta sœur ! lança-t-elle.
Au bord de l’explosion, il éclata soudain de rire. Elle fut prise de court puis se joignit à lui.
Ils se calmèrent rapidement, honteux de leur hilarité dans une maison où personne n’avait ri ouvertement depuis trop longtemps.
— Viens par ici, lui dit-il.
Il lui tendit la main et elle la prit aussitôt, ses doigts chauds et fermes enlaçant les siens. Puis elle glissa ses bras autour de lui.
Ses cheveux avaient un parfum différent. Frais comme toujours et à l’odeur de verdure, mais d’un autre type. Comme les Highlands. Un parfum de bruyère, peut-être.
La joue pressée contre sa chemise, elle déclara doucement :
— Tu as envie de savoir qui c’est. Tu veux que je te dise pourquoi ?
Il resserra son étreinte.
— Oui, j’en ai envie, et non, je ne tiens pas à ce que tu me le dises. Je sais très bien pourquoi et je suis sûr que Jenny, toi et toutes les autres femmes à soixante kilomètres à la ronde croyez le savoir aussi. Mais ce n’est pas la raison pour laquelle j’ai besoin de la voir.
Elle s’écarta légèrement et repoussa les boucles de devant ses yeux pour mieux le regarder. Elle étudia son visage longuement puis hocha la tête.
— D’accord, transmets-lui mes salutations distinguées par la même occasion.
— Oh, méchante petite vengeresse ! Je n’aurais jamais cru ça de ta part !
— Quoi, qu’est-ce que j’ai dit ?
Il lui sourit et caressa sa joue du pouce.
— Je ne le crois toujours pas. Tu n’as jamais été rancunière, Sassenach .
— Normal, je ne suis pas une Ecossaise, observa-t-elle en lissant ses cheveux en arrière. Et je n’en fais pas une affaire de fierté nationale.
Avant qu’il n’ait pu répondre, elle posa une main sur sa poitrine et demanda avec sérieux :
— Elle ne t’a jamais fait rire, n’est-ce pas ?
— Elle m’a peut-être fait sourire une ou deux fois, guère plus.
— Eh bien, ne l’oublie pas !
Elle pivota dans un froufrou de jupons et s’éloigna. Il la suivit avec le sourire aux lèvres.
Quand il atteignit le palier, elle l’attendait au milieu de l’escalier.
Elle pointa un doigt vers lui.
— Encore une chose.
— Quoi ?
— Si jamais tu apprends avec qui elle couche et que tu ne me le dis pas, je te tue !
Balriggan était un petit domaine d’à peine dix arpents, maison et dépendances non comprises. Il n’en était pas moins joli, avec un cottage en pierre grise niché dans la courbe d’une colline au pied de laquelle un minuscule loch brillait comme un miroir. Les Anglais avaient brûlé les cultures et la grange lors du Soulèvement mais les champs avaient repoussé. Beaucoup plus facilement que les hommes qui les avaient labourés.
Il longea lentement le loch tout en se disant que cette visite était une erreur. Il était possible de laisser des choses derrière soi – des lieux, des personnes, des souvenirs –, du moins pendant un temps. Mais les lieux retenaient les événements qui s’y étaient déroulés, et revenir dans un endroit où vous aviez vécu vous ramenait face à ce que vous y aviez fait et qui vous aviez été.
Balriggan… Non, ce n’avait pas été un mauvais endroit. Il avait aimé le petit loch et la manière dont il reflétait le ciel. Certains matins, il était si calme que vous aviez l’impression de descendre dans les
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