Les fils de la liberté
navire disponible. Il connaissait des gens dans la marine.
Combien de temps ? Combien de temps cela lui prendrait-il… si elle acceptait de venir ? Plus important encore, Henry disposait-il de ce temps ?
Il fut arraché à ces pensées troublantes par un remue-ménage plus loin dans la rue. Plusieurs personnes, la plupart ivres à en juger à leur comportement, criaient, se bousculaient et agitaient des mouchoirs. Un jeune homme battait un tambour avec beaucoup d’enthousiasme à défaut de talent et deux enfants portaient une étrange banderole à rayures rouges et blanches mais sans inscription.
Il se plaqua contre un mur pour les laisser passer mais ils s’arrêtèrent devant une maison juste en face de lui et restèrent sur place à crier des slogans en anglais et en allemand. Il saisit le mot « liberté ! » puis quelqu’un sonna la charge dans une trompette et les gens se mirent à scander « Rush ! Rush ! Rush ! ».
Seigneur, ce devait être la maison qu’il cherchait, celle du docteur Rush. La foule semblait d’humeur bon enfant. Il en conclut qu’elle n’avait pas l’intention de traîner le médecin dans la rue pour l’enduire de goudron et de plumes, ce qui,avait-il entendu dire, passait pour une forme de divertissement public dans les colonies. Il s’approcha prudemment d’une jeune femme et lui donna une tape sur l’épaule.
— Je vous demande pardon…
Il dut s’approcher encore et lui crier dans l’oreille pour se faire entendre. Elle fit volte-face en écarquillant les yeux puis vit les papillons sur son gilet et sourit. Il lui sourit en retour.
— Je cherche la maison du docteur Rush, cria-t-il. C’est bien celle-ci ?
Un jeune homme à côté l’entendit et répondit :
— Oui, en effet. Vous avez à faire avec le docteur Rush ?
— J’ai une lettre d’introduction que m’a donnée le docteur Franklin, un ami comm…
Le visage du jeune homme se fendit d’un large sourire. Cependant, avant qu’il ait pu parler, la porte s’ouvrit et un homme sortit sur le perron. Agé d’une trentaine d’années, il était mince et élégant. La foule rugit et l’homme, qui devait être le docteur Rush en personne, tendit les mains en avant pour la faire taire. Le vacarme cessa un instant et l’homme se pencha pour parler à quelqu’un dans l’assistance. Puis il rentra dans la maison et réapparut quelques instants plus tard avec son chapeau. Il descendit les marches sous les acclamations et l’assistance se remit en marche, tambourinant et claironnant de plus belle. Le jeune homme près de Grey lui hurla dans l’oreille :
— Venez, il y aura de la bière gratis pour tout le monde !
C’est ainsi que lord John Grey se retrouva dans la salle d’une taverne prospère, célébrant le premier anniversaire de la publication de la Déclaration d’indépendance. Il y eut des discours politiques enflammés quoique peu éloquents au cours desquels Grey apprit que, non content d’être un riche et influent sympathisant de la rébellion, le docteur Rush était lui-même un rebelle d’importance. De fait, ses nouveaux amis lui expliquèrent que Rush et le docteur Franklin avaient tous deux signé le document séditieux.
Le bruit se répandit que Grey était un ami de Franklin, ce qui lui valut de nombreuses acclamations, et de tape dans le dos en tape dans le dos, il se retrouva nez à nez avec Benjamin Rush.
Ce n’était pas la première fois qu’il voyait un criminel de si près et il garda son sang-froid. Ce n’était de toute évidence pas le moment d’expliquer à Rush l’état de son neveu et il se contenta de serrer la main du jeune médecin et de lui parler de Franklin. Rush se montra très cordial et hurla par-dessus le brouhaha que Grey devait lui rendre visite dès qu’ils seraient tous les deux plus disponibles. Peut-être le lendemain matin ?
Grey s’empressa d’accepter et prit gracieusement congé. En jouant des coudes vers la sortie, il fit le vœu que la Couronne ne pende pas Rush avant qu’il ait eu le temps d’examiner Henry.
Du vacarme dans la rue interrompit momentanément les festivités. De grands cris précédèrent une pluie de projectiles lancés contre la façade du bâtiment. L’un d’eux, une grosse pierre, fracassa l’une des fenêtres à croisillons de la taverne, laissant entendre plus distinctement les insultes : « Traîtres ! Renégats ! »
— Vos gueules, les lèche-bottes ! beugla quelqu’un dans la
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