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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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s’éloignait – suivi du juge Amaury – : quelqu’un le réclamait pour trancher un litige.
    — Vous ne doutez de rien, s’étonna le juge Augustin à l’oreille d’Ogier. Cet homme est l’un des meilleurs jouteurs du royaume.
    Godemar du Fay souriait ; il posa sa dextre rugueuse sur l’épaule de Blainville :
    — Voilà, Richard, un jeunet qui mérite une leçon !
    Blainville riait toujours, mais au-dessus de son pourpoint, les veines de son cou durcissaient, noires dans la pénombre des voûtes de drap que le soleil n’éclairait plus : bien qu’intacte, sa hautaineté souffrait.
    — Tu ne m’aimes guère, Lancelot, dit-il d’une voix presque paternelle. T’ai-je donc nui ? Outragé ? En ce cas, sache-le, c’était sans malveillance volontaire.
    « L’oiseau de proie feint d’être une colombe… Mets, Ogier, un peu d’eau dans ton vin. »
    — Messire, vous m’avez défié l’autre soir, à Morthemer, parce que vous me preniez et me prenez toujours pour un niais… Après tout, il se peut que j’en sois un… Que vous m’infligiez une leçon demain, votre mérite, je crois, n’en sera pas outrément grandi… Qu’il vous advienne d’en subir une devant moi, alors, oui : je serai digne du surnom de Lancelot que vous m’avez donné, nullement pour me complaire mais pour vous moquer.
    Il s’était exprimé lentement, choisissant chacun de ses mots, tout en s’efforçant à la courtoisie. Il fallait que Blainville continuât de le considérer comme un rustique enfiévré de vanité, de sorte que, confiant en son coup de lance, celui qu’en retour il recevrait sur sa targe n’en fut que plus renversant.
    — C’est bon, Lancelot !
    Se substituant au juge Augustin, le marmouset du roi commanda :
    — Tabellion, notez que j’affronterai ce chevalier.
    Et Blainville reprit son entretien avec Godemar du Fay, auquel se joignirent le seigneur de Tancarville et le comte de Guînes, tout heureux l’un et l’autre de raconter la tribulation du duc Jean devant les murs d’Aiguillon.
    « Les bêtes ! enragea Ogier. Voilà un connétable de France et son compère qui se confient au pire des félons ! »
    Le juge Augustin lui tapa sur le bras :
    — Est-ce tout ?
    — Avançons, messire, voulez-vous ?
    De l’autre côté de l’allée où passaient et repassaient des hommes en quête d’adversaire, Ogier entrevit une targe et marqua un arrêt :
    — De sable à un gerfaut d’argent.
    Il était donc présent, celui qu’admirait Tancrède ! Avait-il amené son épouse avec lui ?
    Après avoir brassé moins de deux toises, sans souci des protestations et des coups de coude, il s’immobilisa devant un heaume noir sommé d’un faucon d’argent aux ailes repliées dont le bec retenait un bout d’étoffe rouge :
    — À qui ? s’écria-t-il.
    Un homme d’environ trente ans s’approcha. Il était vêtu sans recherche : pourpoint de velours gris au col fourré de vair, ceinture large où pendait une dague à manche de corne, chausses grenat… Un chaperon noir, gansé de rouge, repoussé en arrière, dégageait un front haut et lisse. Le visage contredisait cet habillement de manant : le nez droit, mince, et le menton pointu mettaient en valeur une bouche épaisse, sensuelle ; les yeux grands et doux, sous la frange des cils, avaient une magnificence d’améthyste.
    — Messire, si les armes que je vois sur cet écu sont vôtres, vous êtes Guy de Passac.
    — C’est moi.
    La voix était belle : ferme et onctueuse. La bouche souriait, cette bouche qui avait connu, jusqu’au moindre repli, le corps de Tancrède.
    — Messire, dans le pays d’où je viens, proche de Pierregord, on prétend qu’avec votre dame et votre mesnie, vous êtes passés aux Anglais.
    Passac sembla s’aigrir d’une importunité à laquelle, pourtant, il aurait dû s’attendre. Se hissant sur la pointe des pieds, il parut chercher un allié dans la foule – Blainville ? – et prit, en retombant, un air indifférent.
    — Je viens, messire, de Fronsac… et il est vrai qu’on prétend que je suis un Goddon… d’autant plus que Blanche, mon épouse…
    Ogier, de nouveau, évoqua Tancrède. En avait-elle parlé de cette Blanche dont la mère Poitevine était de la suite d’Isabelle – l’épouse d’Édouard II d’Angleterre – et le père Goddon. Était-il vrai que sa beauté fût prodigieuse ? Avait-elle accompagné son mari ? À voir l’accoutrement de

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