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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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enténébré, Tristan se refusait à envisager le moindre agissement au-delà de sa vengeance. Si sombre et douloureux fût-il en ce moment, il n’en recevait aucune autre sommation que celle d’occire un malandrin.
    –  Domine tes nerfs, Sang-Bouillant, conseilla Bagerant.
    – Il a raison, messire, approuva Paindorge. Si vous vous pouviez voir, vous seriez effrayé.
    – Je veux être effrayant !
    Ils allaient s’ahatir Lionel et lui 364 , devant un peuple de routiers comme naguère il l’avait fait pour Héliot, à Brignais. Conjointement à sa fureur, il sentait croître dans son cœur même une cruauté sans borne. À chaque pas, elle sursautait et s’endurcissait comme une lame vermeille et fumante sous les coups de marteau d’un fèvre.
    – Il me paraît moins redoutable qu’Héliot dont tu rompis un bras sur la pente de Brignais.
    – Ainsi, tu t’en souviens ! Je venais d’y penser.
    – On se souvient toujours d’une belle appertise !
    Bagerant n’avait point oublié ce combat. Était-ce de bon augure ?
    – Je haïssais ce malandrin d’Héliot. Moins, cependant, que ce blanc-bec d’arbalétrier qui n’aurait point déparé ta meute.
    – C’est vrai. Mais ne suis-je pas lavé de mes anciens péchés ? Le Pape ne m’a-t-il point accordé la rédemption que sans doute je méritais ?… Si Dieu, dans sa bénignité, m’a fait tout autre que j’étais, comment pourrais-tu aller à l’encontre de Sa volonté ?
    – Taisez-vous, dit Paindorge.
    – Et si j’étais un saint qui se soit fourvoyé ?
    – Assez ! dit Paindorge. C’est bien le moment de dire des bourles 365 pareilles !
    Bagerant cessa de rire et, se détournant sans cesser l’avancer :
    – On nous suit. Les hommes ont flairé le sang.
    Tristan ne voyait rien d’autre que les routiers qui s’écartaient devant lui. La hampe du carreau brûlait ses doigts, sa paume. Parfois, il regardait l’empenne déchirée comme il l’eût fait d’une fleur noire, maléficieuse.
    – Où s’est-il mussé, ce linfar ?
    – Peut-être, enragea Paindorge, s’est-il enfui.
    – Où qu’il aille, Robert, je le retrouverai !
    Une espèce de faim labourait le ventre de Tristan, malgré le vacarme des voix, il sentait gronder son sang.
    Le désir de tuer violentait ses membres. La furie le poussait aux épaules. Il voyait tout autant le corps de Lionel mort que celui d’Ogier d’Argouges. Déjà il s’accoutumait vaille que vaille à cette double disparition.
    – Le voilà, dit Paindorge. Il allait s’esbigner.
    C’était lui, devant ses compères. Tous à cheval.
    – Holà ! dit Bagerant, son aigre sourire à la bouche, il ne me paraît pas que ce soit le moment de partir.
    – Descends !
    Lionel, de tout son haut, défia le perturbateur.
    – Messire, je m’assois sur votre sommation. Je n’ai de vous aucun commandement à recevoir.
    – Oh ! Si, de moi tu vas recevoir quelque chose !
    L’arbalétrier trônait sur un cheval bai bien en chair et se tenait si parfaitement sur sa selle qu’il eût pu sans doute le monter à poil des journées entières. En le voyant ainsi, beau et fier à vrai dire, Tristan ressentit quelque chose où il entrait une sorte d’admiration, d’aversion et de crainte. Tous ses muscles, ses nerfs, son exécration s’étaient figés comme si ses instincts héréditaires s’accordaient une trêve avant de reprendre possession de son corps. Son cœur lui faisait abominer ce huron pour le crime qu’il avait commis ; sa raison lui enjoignait de le redouter pour le mal qu’il incarnait et dont il pouvait pâtir.
    –  Descends. Tu viens d’occire un homme… Un carreau dans le dos. Outre la vilenie dont je te savais capable, la perversité la plus vile !
    Lionel restait assis, les pieds très enfoncés dans les étriers, les paumes réunies sur le pommeau de selle, les yeux fixés sur le justicier comme s’il voulait s’assurer du niveau de sa fureur en même temps que de sa force.
    – Qui vous dit que c’est moi ? s’étonna-t-il, regardant autour de lui avec cette suffisance qui sans doute eût fait de lui un bon capitaine s’il n’avait été un rustique.
    Et Tristan crut reconnaître en lui des expressions du défunt : la lèvre inférieure soudain boudeuse, la façon de renifler, le froncement des sourcils. Tout à la fièvre de ressentiment qui montait en lui, il gardait assez de sang-froid pour feindre l’innocence.
    – Ta question est un aveu.

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