Les foulards rouges
de désolé.
Le faux cocher observa l’atelier baigné d’une
lumière rougeâtre qui provenait du four. Il regardait ce lieu avec quelque
nostalgie, comme s’il ne devait le jamais revoir et le maître verrier se prit à
espérer qu’il s’agissait peut-être de sa dernière mission.
Jehan d’Almaric ôta ses gants de daim et passa
une main sur ses yeux, en un geste coutumier aux gens fatigués restés fort
longtemps sans dormir.
Puis, son regard devenu inexplicablement plus
dur, se posa sur le maître verrier :
— Sais-tu pourquoi je suis venu ?
L’homme émit un bruit de gorge assez
désagréable et le marquis, fermant un instant les paupières, hocha la tête.
— C’est vrai que nous t’avons arraché la
langue…
Il marqua un temps et ajouta en baissant la
voix :
— Ainsi ne vas-tu point m’accabler de
reproches.
D’un geste lent, le marquis sortit un poignard
de sous sa cape.
— Tu as compris, n’est-ce pas ? Il
en est ainsi et c’est chose fort injuste car tu as accompli excellent travail
mais le seigneur que je sers ne veut plus de toi. Sans doute en sera-t-il
pareil pour moi un jour prochain si je ne sais fuir à temps.
Il avança vers le maître verrier qui, reculant
pas à pas, heurta bientôt un des murs de l’atelier.
Le marquis d’Almaric haussa les épaules, navré,
en regardant l’homme qui tremblait de tout son corps puis, d’un ton neutre, il
murmura :
— Spiritus promptus est, caro autem
infirma.
Il lança son bras de bas en haut.
La lame heurta durement une côte puis, dérapant
sur celle-ci, plongea dans le cœur du maître verrier qui s’effondra sans vie
tandis que le marquis traduisait :
— L’esprit est prompt, mais la chair est
faible.
Il soupira et, se baissant, essuya la lame de
son poignard sur la chemise d’étoffe dure et rapiécée de sa victime en ajoutant :
— Jésus-Christ au mont des Oliviers, saint
Mathieu, chapitre XXVI, verset 36 à 41.
Il jeta un regard au four rougeoyant et sourit.
Ils avaient
chevauché toute la journée et le jour déclinait très vite.
Par des courriers, le comte de Nissac et la
baronne de Santheuil savaient que la Cour, depuis Tours, allait gagner Blois et
c’est en cette ville qu’ils pensaient rejoindre le Premier ministre.
Le temps exécrable rendait les liaisons
difficiles, voire hasardeuses. Écrivant au cardinal trois jours plus tôt, Nissac
avait trouvé le couvercle de l’encrier comme soudé par le gel. À l’intérieur, l’encre
avait gelé elle aussi et il fallut la réchauffer.
Au pas, le comte et la baronne avançaient la
tête baissée sur l’encolure des chevaux, tentant de résister au froid, au vent
coupant et à la neige qui tombait d’abondance.
Sentant l’extrême fatigue de sa compagne, le
comte lui désigna de sa main gantée un moulin isolé et qui, vu de loin, évoquait
quelque grand oiseau aux ailes figées par le froid glacial à l’instant de son
envol.
Mathilde de Santheuil approuva en hochant la
tête car le vent soufflant en tempête emportait les paroles avant qu’on les
puisse distinguer.
Arrivé sur place, le comte de Nissac ne s’encombra
point de précautions et força la porte d’un coup de botte, non sans une pensée
attristée pour son ancien Foulard Rouge Nicolas Louvet, maître en l’art d’ouvrir
les serrures avec une infinie douceur.
Quelques souris s’enfuirent à leur entrée.
Ramassant des fagots, le comte alluma un feu
devant lequel il plaça d’autorité la baronne qui grelottait, puis il mena les
chevaux en l’emplacement où le meunier, sans doute replié sur un village voisin,
faisait habituellement tenir son âne ou son mulet. Il dessella le grand cheval
noir et l’alezan de la baronne, les frotta en grande énergie avec de la paille,
puis rejoignit celle qu’il aimait et qui semblait à présent retrouver meilleur
aspect, les mains étendues devant les flammes.
Il lui sourit.
— J’étais au supplice, en t’entendant
claquer des dents. D’aussi jolies dents, les ébrécher eût été grande offense à
la beauté.
Il couvrit de sa cape noire les épaules de la
jeune femme puis l’enlaça en disant :
— L’endroit est fort modeste mais nous y
sommes à l’abri de ce vent glacé, de la neige et du froid.
Le regard perdu vers les flammes, un sourire
aux lèvres, Mathilde posa sa tête sur l’épaule du comte.
— En te voyant la toute première fois, j’ai
songé à des châteaux en Espagne. Puis, te
Weitere Kostenlose Bücher
Eis und Dampf: Eine Steampunk-Anthologie (German Edition) Online Lesen
von
Mike Krzywik-Groß
,
Torsten Exter
,
Stefan Holzhauer
,
Henning Mützlitz
,
Christian Lange
,
Stefan Schweikert
,
Judith C. Vogt
,
André Wiesler
,
Ann-Kathrin Karschnick
,
Eevie Demirtel
,
Marcus Rauchfuß
,
Christian Vogt