Les foulards rouges
Au bout, l’attendait l’éblouissante victoire de Bleneau qui mena la
Fronde au zénith et fit chanceler grandement le pouvoir royal.
Jérôme de Galand, général
de police du royaume, jeta un regard froid à la scène puis, de sa voix sèche, ordonna :
— Sortez-le donc de là !
Deux officiers en tenue civile tirèrent les
jambes d’un corps engagé jusqu’à la taille en un four refroidi.
Ils n’en sortirent qu’une moitié d’homme, le
tronc et la tête se trouvant totalement carbonisés ainsi que les bras et les
avant-bras.
Deux mains se détachèrent de la cendre et
tombèrent sur le sol, paumes ouvertes, comme celles d’un mendiant attendant des
pièces, ce qui déclencha l’incontrôlable fou rire d’un jeune officier.
Galand le toisa :
— Allez rire avec nos chevaux !
L’homme quitta l’atelier tête basse, mais
secoué de spasmes nerveux.
— Il est bien jeune ! plaida le
lieutenant Ferrière qui avait déjà tenté d’expliquer au fautif le caractère de
son chef lors de l’examen du corps de la jeune femme écorchée.
Galand balaya cette remarque d’un geste agacé
et questionna :
— Il existe une veuve ?
— En effet. Elle a reconnu ce qu’il reste
des vêtements et pareillement les galoches : il s’agit bien de son mari.
Elle attend en l’appentis.
— Je la rencontrerai plus tard. Qu’y
a-t-il à voir, ici ?
Ferrière hésita un instant, sachant comme son
supérieur aimait qu’on en vienne vite au fait :
— Peu de chose, monsieur le baron. C’est
un atelier de maître verrier.
Ferrière se demanda en quoi ses paroles
pouvaient susciter un intérêt si brusque et si vif de la part de son chef. Le
regard de Galand, un regard d’oiseau de proie, scruta chaque détail de l’atelier
puis, toujours aussi sèchement :
— Retirez ces bottes de paille. Avec
grand soin et délicatesse, il pourrait s’y trouver dessous matières fragiles.
Les policiers se mirent aussitôt au travail
avec efficacité et prudence, ôtant les bottes de paille une à une sans se
laisser gagner par la palpable impatience du baron.
— Il y a là quelque chose… C’est en verre
et d’une toise ! dit un officier.
Bientôt on dégagea tout à fait une boîte de
verre effectivement longue d’un peu moins d’une toise, large d’un pied et demi,
profonde d’un peu plus d’un pied.
Les policiers se regardèrent, perplexes, mais
Galand, qui semblait halluciné, ordonna :
— Voyez si la partie supérieure se
soulève, comme il est probable.
Ferrière secoua la tête.
— La chose semble fixe…
Un léger – et bien rare ! – sourire se
dessina sur les lèvres minces du baron de Galand.
— Eh bien je crois que vous avez tort, Ferrière,
et qu’il s’agit plutôt là d’un couvercle.
Ferrière essaya de soulever la partie
supérieure, en vain. Cependant, la plaque de verre ne lui sembla point coulée
en l’ensemble et il se tourna vers un jeune policier qui suivait ses efforts :
— Gillain, avec vos longs et minces
doigts de fille, essayez donc !
Glissant ses doigts habiles dans une fente
très fine, le jeune homme leva sans difficulté la partie supérieure. Les autres
l’aidèrent aussitôt.
Satisfait, Galand, les mains derrière le dos, se
souleva à plusieurs reprises sur la pointe des pieds, faisant retomber ses
talons avec un bruit sec. Il expliqua :
— Messieurs, c’est là cercueil de verre, chose
en vérité bien singulière. Cependant, cette merveille n’est point destinée à recevoir
le corps de quelque princesse défunte mais celui d’une de ces pauvres femmes qu’un
fou écorche, et sans doute vives !
Les hommes regardèrent le cercueil avec une
légère répulsion mais déjà, Galand ne les laissait point souffler :
— Messieurs, dehors !… Vous, Ferrière,
vous interrogerez la veuve. Ne me regardez point, je me tiendrai en retrait et
n’interviendrai qu’à mon heure.
Ainsi fut-il fait.
La veuve, encore sous le coup de l’émotion, répondait
sans calcul ni réticence aux questions de Ferrière. On ne progressait point
rapidement jusqu’à l’instant où la femme évoqua deux points de grande
importance : trois ans plus tôt, alors qu’il était seul en son atelier, son
mari avait été mystérieusement attaqué par des inconnus qui lui arrachèrent la
langue. Mais, peu après, des bourses emplies d’or arrivèrent en leur logis sans
qu’elle pût en expliquer l’origine.
Galand sourit,
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