Les foulards rouges
escorte.
— Dieu vous bénisse, monsieur le maréchal !
Monsieur de Turenne salua et se retira en hâte.
Dans la cour, il sauta en selle et rejoignit le champ de bataille pour livrer
la plus inégale des batailles.
Si Turenne fit
preuve de génie, Nissac en eut sa part.
Le maréchal disposa ses troupes sur un
excellent terrain, en plaine, n’ignorant point que, pour combattre, monsieur le
prince serait obligé de traverser épaisse forêt. Reliant cette forêt à la plaine
existait une étroite chaussée bordée de marécages et dominée par une petite
colline.
C’est sur celle-ci que le général de Nissac
disposa toute son artillerie, pièce contre pièce, tenant la chaussée sous son
feu.
Le piège était judicieux. Le prince ne verrait
que la plaine, et point les difficultés qui y menaient car en plaine, rien au
monde, pas même l’artillerie de Nissac, n’aurait empêché Condé de tailler
Turenne en pièces.
En outre, le prince fit preuve de graves
négligences. Ainsi, en poursuivant vainement pendant des heures les escadrons
en fuite d’Hocquincourt au lieu de tomber sur Turenne encore en la confusion de
la mise en ordre de marche de l’armée royale. Ensuite, en confiant son armée à
Beaufort qui n’empêcha point ses soldats de se livrer au pillage et au viol au
lieu de se ranger rapidement et avec discipline en ordre de bataille.
Si bien que la puissante armée condéenne ne se
mit en route que vers midi, laissant au maréchal de Turenne et aux siens un
temps considérable pour se préparer en les meilleures conditions.
Lorsque les troupes du prince s’engagèrent sur
l’étroite route bordée de marais, on s’aperçut que l’issue en était verrouillée
par les soldats de Turenne. Toujours prompt, le prince lança son infanterie qui,
bien que reçue par des mousquetades, fit plier les troupes de Turenne, celles-ci
retraitant cependant en bon ordre.
Le cœur de Condé accéléra ses battements, le
prince devint plus pâle encore qu’à l’ordinaire, sachant que plus rien ne
pouvait s’opposer à ce qu’il balayât Turenne et s’emparât de la personne de
Louis XIV, enfermé dans Gien.
Faisant ranger son infanterie sur les côtés de
la route, le prince fit donner sa cavalerie, afin qu’elle nettoie la plaine de
l’armée royale.
Cependant, une désagréable surprise l’attendait.
Six de ses meilleurs escadrons de cavalerie furent pris à partie par douze
escadrons de Turenne.
Il fallut bien reculer et, compte tenu de l’étroitesse
de la chaussée, étant par ailleurs entendu qu’on ne se pouvait risquer en les
marais, les cavaliers se bousculèrent, se gênant les uns les autres et formant
mêlée compacte.
Alors, en cet instant des plus périlleux, il
sembla aux Condéens que le ciel et ses orages déchaînés tombaient brusquement
sur eux.
Tous les canons de Nissac donnèrent ensemble, en
une seule salve. Tous les coups tuaient, les canonniers ayant réglé avec
précision leurs tirs sur la chaussée depuis le matin.
Le prince comprit le piège de Turenne sans le
pouvoir éviter et, le visage décomposé, il assista en grande impuissance au
massacre de sa magnifique cavalerie.
Laissant des centaines de morts, les Condéens
se retirèrent de la chaussée. Le prince fit donner son artillerie mais en ce
duel, elle fut immédiatement surclassée par celle du comte de Nissac qui ne
perdit pas une pièce quand celles de Condé sautaient les unes après les autres,
préférant bientôt cesser le feu pour ne plus être repérées et aussitôt
détruites.
Puis vint la nuit, tombant sur les cris des
blessés et les appels des mourants.
Humilié, le prince de Condé se retira avec ses
troupes sur Chatillon. Aussitôt, l’armée royale se replia sur Gien pour
protéger le roi laissé sans défense pendant toute la bataille.
Deux jours plus tard, accompagné de Beaufort, Nemours
et La Rochefoucauld, le prince de Condé, se désintéressant de son armée de la
Loire, se rendait à Paris à bride abattue.
La monarchie était sauvée.
Provisoirement.
52
L’homme au masque d’argent attendait, assis en
un fauteuil où il prenait ses aises, heureux d’une diversion à son ennui, cet
ennui qui lui faisait escorte depuis l’enfance.
Pour une fois, le marquis Jehan d’Almaric, toujours
déguisé en cocher, devançait ses désirs en lui présentant cette femme étonnante
qui s’adonnait au culte de Satan et laissait derrière elle, en ses soirées très
surprenantes,
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