Les foulards rouges
marquis Jehan d’Almaric.
— Eh bien ? demanda l’Écorcheur.
D’Almaric songea aux nouvelles qu’il apportait,
l’une mauvaise et l’autre bonne. Son calcul fut qu’il les devait dire toutes
ensemble :
— Monseigneur, Éléonor de Montjouvent a
encore échappé à notre surveillance mais…
— Vous n’êtes qu’une bande d’idiots !
pesta l’Écorcheur.
D’Almaric, conscient qu’il s’agissait là d’un
manque de respect, décida cependant d’ignorer l’interruption, misant sur la
joie probable de l’Écorcheur :
— Mais nous avons retrouvé la femme que
vous cherchez depuis si longtemps, celle dont vous gardez le portrait.
L’Écorcheur parut stupéfait :
— Serait-ce possible ?… Serait-ce
enfin possible ?…
— Tel était votre vœu, monseigneur.
Souriant, l’Écorcheur s’approcha d’Almaric.
— Comment avez-vous réussi ?
— L’endroit où elle avait été vue voici
trois ans. J’ai pensé qu’elle y avait peut-être quelque attachement et fait
surveiller les rues. Elle a été reconnue, et vient chaque jour en une taverne
appelée « Aux Armes de Saint-Merry ».
— Mais il faut attaquer l’endroit ! s’emporta
l’Écorcheur.
— La chose est faite, monseigneur. J’ai
levé une vingtaine de truands et de déserteurs parmi les meilleurs.
Le ton de l’Écorcheur devint plus incertain :
— Ah, bien… Alors enlevez cette femme. Qu’attendez-vous ?
— Une fois encore, la chose est faite, monseigneur.
— Mais… C’est parfait !… Parfait !…
Il faut l’emmener à Auteuil, à présent.
— Elle est déjà en route sous bonne
escorte, monseigneur.
L’Écorcheur demeura un instant rêveur puis, détachant
d’un de ses doigts une bague ornée d’un très beau diamant, il l’offrit au
marquis d’Almaric :
— On a toujours intérêt à me bien servir !…
Partons sur l’instant.
Jérôme de Galand, la
baronne de Montjouvent et une dizaine d’archers allaient se mettre en route
pour Auteuil lorsque arriva un ordre du prince de Condé.
Le prince craignait un coup de main contre son
hôtel, disant tenir le renseignement de bonne source. Il exigeait une garde
renforcée pour les heures à venir et les archers de Jérôme de Galand, dont
certains en civil, dans les rues alentour afin d’arrêter les hommes du cardinal
s’ils passaient à l’attaque.
Pâle de rage, Galand dut provisoirement
renoncer à son expédition à Auteuil mais, la sachant très exposée dès lors qu’il
la quitterait un instant, il conserva madame de Montjouvent à ses côtés.
Le comte de Nissac
et les siens, fendant la foule des curieux, pénétrèrent « Aux Armes de
Saint-Merry ».
Le comte vit d’abord le corps sans vie de
Joseph, percé de plusieurs coups d’épée, puis dénombra six cadavres.
Prenant le comte pour un dignitaire de la
police, un jeune homme se précipita :
— Ah, monseigneur, j’ai tout vu.
— Racontez !
— Une vingtaine !… Ils étaient bien
une vingtaine. Des truands, des têtes de truands. Tenez, regardez ceux-là…
Il désigna les six cadavres.
— Poursuivez !… répondit le comte en
masquant son impatience.
Le jeune homme, un instant troublé, retrouva
son sang-froid :
— Je viens souvent ici avec d’autres
clercs de basoche. Tout à l’heure, quand ces hommes sont entrés vivement, une
jeune femme très belle et Joseph se sont levés. Joseph en a tué un au couteau
avant de tomber sous les coups en voulant protéger la jeune femme mais celle-ci
a eu le temps de ramasser l’épée du premier mort. Ah, comme elle s’est battue !…
Elle en a tué cinq et ils ne l’ont vaincue que parce qu’une brute, la
contournant, lui donna coup de poing sur la nuque qui l’assomma. Après quoi, quatre
qui se trouvaient blessés sont partis en un sens, vers
Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie quand les dix autres, dont l’un portait le corps
de la jeune femme en travers de sa selle, ont pris la direction qui mène au
Faubourg-Saint-Honoré. Il m’a semblé… Dehors, un cavalier de belle mise a paru
les suivre, mais je ne pourrais point le jurer.
Nissac réfléchit. Il fallait faire vite mais
ne se point tromper.
Jusqu’ici, il avait bien joué. Se souvenant de
ce Theulé, soi-disant artiste, qui agissait pour le compte de l’homme aux
cicatrices sur les avant-bras, qui est factotum de l’Écorcheur, il avait
soigneusement fait marcher sa mémoire. Avant d’être poignardé par
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