Les foulards rouges
madame.
— Et quelle est donc cette chose ?
— Mon plus cher ami, le plus ancien aussi,
souhaite vous voir en même temps que moi.
Le cœur de madame de Santheuil battit plus
vite. Grâce à cet ami, le comte et elle se reverraient. Elle fit taire son
émotion :
— Votre ami connaît donc mon existence ?
— Il sait tout, sur tout le monde.
— Qui est-il, monsieur le comte ?
— Je ne puis vous le révéler sans son
consentement.
Un peu déconcertée, Mathilde de Santheuil alla
tisonner les bûches puis, revenant vers Nissac :
— Voilà qui est bien mystérieux.
— J’en conviens.
— Et où veut-il nous voir ?
— À Notre-Dame, à minuit.
— Mais la rivière de Seine a envahi
Notre-Dame, l’ignoriez-vous ?
— Une barque nous attendra.
Elle prit brusquement sa décision :
— C’est entendu, monsieur le comte.
— Je peux vous venir chercher en carrosse
mais à la minuit, la chose n’est point discrète. Il serait plus avisé, si vous
n’y voyez point offense, que je vienne vous chercher avec mon cheval et que
vous montiez en croupe. Mon cheval est solide et sûr, nous gagnerons ainsi les
quartiers envahis par la montée des eaux.
Mathilde aurait dit oui de toutes les façons, même
si le comte lui avait proposé une visite des enfers. Mais la perspective de se
trouver sur le même cheval que l’homme qu’elle aimait la ravissait.
À ceci près qu’elle ignorait tout du cheval. Aussi
questionna-t-elle :
— Qu’entendez-vous par « monter en
croupe » ?
— Derrière moi.
— Mais comment tiendrai-je à l’arrière de
votre cheval ?
Assez perplexe, le comte de Nissac réfléchit. Il
lui sembla que le regard de la jeune femme pétillait et qu’elle prenait grand
amusement à le pousser en ses retranchements. Il songea, amusé : « Aussi
cruelle que belle, c’est là une femme ! » Néanmoins, il s’efforça de
répondre :
— Derrière. Vous me tenez à la taille ou
aux épaules. Le corps du cheval se trouve entre vos jambes… Mais c’est bien
large lorsque l’habitude n’est point là.
— Il n’en est pas question. Vous ne
connaissez point autre moyen ?
Le comte, qui sentait des picotements lui
venir, faillit se prendre la tête à deux mains et s’enfuir. En cet instant, il
eût préféré affronter seul un « tercio » de l’armée espagnole.
Il s’efforça au calme pour répondre :
— Vous vous asseyez devant moi, au bas de
l’encolure du cheval. Vos jambes sont du même côté et vous ne faites point face
à la route. Pour ma part, tenant les brides, je vous tiens en quelque sorte
dans mes bras et puis vous jurer que vous ne chuterez point.
Mathilde de Santheuil trouvait cette solution
plus avantageuse. Elle serait de profil, il n’aurait qu’elle à voir.
— J’accepte.
Il sembla soulagé :
— C’est parfait. Une dernière chose :
je crains que l’ami qui veut vous rencontrer ne soit… Enfin, je crois qu’il est
défiguré. Ne prenez point peur.
— Attendez, monsieur le comte. Vous
CROYEZ que votre « plus cher ami » est défiguré ?… Vous n’en
êtes donc point certain ?
— Je ne l’ai jamais vu.
— Vous plaisantez ? demanda-t-elle
sèchement mais, au visage du comte, elle comprit qu’il se trouvait en grande
sincérité.
Embarrassé, il expliqua :
— Il est bien plus âgé que moi ! Nous
entretenons correspondance abondante depuis que je suis en âge de tenir une
plume et d’avoir quelques pensées.
Énervé, il fit les cent pas.
Sa haute silhouette passait et repassait
devant la cheminée, projetant son ombre agrandie sur les murs de la maison et, une
fois encore, Mathilde songea : « Reste ! Je t’en supplie, reste
toujours ! Celles qui sont titrées, toutes tes duchesses et tes marquises,
aucune ne saura t’aimer comme je t’aime. Je ferai tout, pour toi, le
comprendras-tu jamais ? »
Il cessa d’aller et venir, lui faisant face :
— Je sais, c’est très curieux. Je suis un
homme sérieux et calme, un soldat qui réfléchit sur l’artillerie et sait
calculer le meilleur parti pour mes canons. Et cependant, chaque fois que je
vous rencontre, j’ai l’air d’un fou furieux, un agité, un folâtre, un évaporé
qui s’invente d’incroyables histoires. Eh bien non, je ne suis point ainsi, madame
de Santheuil.
— Dommage, la folie donne du charme.
— Vous dites ?
— La société s’ennuie des gens trop
sérieux quant aux
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