Les foulards rouges
femmes…
Elle s’interrompit puis, plus gravement :
— Les femmes vous intéressent sans doute,
monsieur le comte ?
Il hésita.
À son âge, trente-huit ans, la seule femme qui
l’eût jamais passionné se trouvait devant lui avec un charmant sourire de défi.
Il toussota :
— Eh bien… Elles m’intéressent en effet. Raisonnablement.
Elle sembla atterrée :
— « Raisonnablement » ?
Il dansa d’un pied sur l’autre, se trouvant
aux mille diables, et répondit enfin :
— Le service aux armées, mon château en
les brouillards où j’aimerais me retirer, il n’est rien là qui puisse faire
rêver une femme et donc, par voie de conséquence, me faire rêver sur une femme.
Heu… Ne suis-je point trop confus ?
— Point du tout. Mais en amie, je vous
dirais : point trop de raison. Soyez un peu fou, les femmes en raffolent.
Il haussa les épaules.
— Fou !… Fou !… Voilà comme la
chose est dite !… Alors il suffirait de paraître en habit de bouffon, mi-jaune,
mi-rouge, d’agiter un grelot comme un nain stupide, de remuer les oreilles et
de se tordre le nez, de faire grimaces hideuses en marchant sur la tête, de
regarder en son nombril pour vérifier si troupe de sorcières ne s’y cache point,
de se laisser pousser fort longues moustaches afin de les lier l’une à l’autre
par un double nœud, de manger artichaut par le pied et d’avaler les noyaux de
cerises en laissant leur chair délicieuse au côté de l’assiette, en un mot, de
n’être point possible à vivre plus de quelques instants pour enfin être aimé de
vous ?
Il songea, en un éclair de lucidité, que si
ces choses avaient été nécessaires, il les aurait toutes faites. Lui, Loup de
Pomonne, seigneur de Nissac, lieutenant-général de l’artillerie de monsieur le
prince de Condé, pour plaire à Mathilde, il les eût faites toutes !
Épouvanté, il se dit : « Mais je l’aime
vraiment ! »
La réponse de madame de Santheuil lui fit l’effet
d’un de ces seaux d’eau qu’il renversait sur son corps chaque matin depuis l’enfance.
— Il en faudrait beaucoup plus, monsieur
le comte !
Découragé, il saisit son chapeau à belles
plumes, salua sans un mot et sortit, laissant Mathilde désespérée qui murmura :
— Mais pourquoi ai-je dit cela que je ne
pense point ?
17
Débouchant du pont Saint-Michel sur lequel les
échoppes fermées semblaient les pieds dans l’eau, tant la Seine avait monté, Nissac
et ses compagnons gagnèrent la rive gauche et parvinrent bientôt rue Poupée où
les attendaient Jérôme de Galand et ses quatre archers, des hommes de haute
stature aux rudes visages.
Bien que la nuit fût sombre, parcimonieusement
éclairée par quelques pauvres rayons de lune que masquaient par intermittence
de lourds nuages violacés, le lieutenant de police criminelle pria le baron de
Frontignac de souffler son falot en expliquant :
— La ville est aux factieux qui ajoutent
l’audace à l’insolence. Il n’est guère prudent de signaler ainsi notre arrivée.
Tournant bride, il s’enfonça dans les ruelles
obscures, suivi de ses hommes et de ceux de Nissac.
Par la rue de la Harpe, on gagna la rue de
Foin et de là, on se dirigea vers la Porte Saint-Jacques pour s’y arrêter peu
avant, à proximité d’une église fort ancienne et visiblement à l’abandon.
Déléguant un des archers à la garde des
chevaux, Galand, Nissac et leurs hommes contournèrent l’église… et tombèrent en
arrêt.
Dans le froid polaire, et à la lueur de
torches, des hommes creusaient le sol gelé d’un très ancien cimetière dont les
croix, pour la plupart de guingois, attestaient l’ancienneté.
Le lieutenant de police criminelle s’approcha
du comte de Nissac qui observait la scène et lui glissa :
— Nous ne sommes point les premiers, dirait-on.
— C’est donc cette tombe-là ? murmura
Nissac.
— À cette distance, comment en avoir
grande certitude ? Mais il semble, en effet. Au reste, qui d’autre, en
pleine nuit et par ce froid ? Nous ne sommes point en période de Peste et
l’on n’enterre pas les chrétiens la nuit.
— Surtout à six, et l’épée au côté.
— Nous attaquons, monsieur le comte ?
Nissac regarda Galand avec surprise.
— Avez-vous jamais imaginé chose
différente ?
Par gestes, les deux chefs donnèrent leurs
ordres et bientôt leurs hommes se dispersèrent pour former un large mouvement
de tenaille qui se referma
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