Les foulards rouges
Frondeur qui lui faisait face et qui, quoique
dominé, manifestait par instants des réveils qui laissaient deviner l’homme
brillant qu’il avait dû être jadis.
Frontignac avait déjà balafré son adversaire, sans
doute un militaire en civil, assez courageux, cependant, pour ne point rompre
le combat.
Côté police du cardinal, l’issue semblait plus
incertaine. Un des archers faisait jeu égal avec le Frondeur auquel il se
trouvait opposé quand, brusquement, le second archer s’effondra, blessé à la
main qui tenait l’épée.
Aussitôt, Nissac s’avança vers le vainqueur et,
une fois encore, il proposa une porte de sortie :
— Est-ce bien nécessaire, monsieur ?
À ce jeu, vous ne gagnerez point. Trop de mes compagnons pourraient prendre la
relève.
Son adversaire, un tout jeune homme, le toisa
avec cette insolence qui, en toutes ces années noires, fut un des charmes de
certains Frondeurs :
— Vous avez eu de la chance, monsieur, mais
pour avoir vu votre coup, je ne me laisserai point prendre à mon tour car un
âne ne met jamais deux fois le sabot en la même ornière.
— Il est cependant des ânes stupides, et
certains autres qui se plaisent à souffrir car ils ont sans doute du goût pour
le malheur. Donnez-moi une raison, une seule, de ne point vous prendre la vie.
Le Frondeur, de bonne naissance, perdait pied.
L’homme qui lui faisait face dégageait trop de force, trop de calme… Il eut
brutalement la vision de sa gorge ouverte, du sang qui bouillonne, de la vie
palpitante qui s’enfuit. C’était beaucoup, il composa donc et pour ce faire, baissa
suffisamment la voix pour n’être entendu que du seul comte de Nissac, et point
de ses propres amis :
— Eh bien, monsieur, en vérité, la vie
est une bien belle chose. Si j’étais blessé, et légèrement…
— Soit, il en sera ainsi ! Mais qui
vous a envoyé ici ?
Le jeune homme sembla surpris ;
— Mais le marquis de Wesphal, que vous
venez d’occire de si étonnante façon.
— D’où tenait-il ce renseignement ?
— Une trahison subalterne, me semble-t-il.
C’est qu’on ne nous dit point toutes choses. Sachez encore que Monsieur de
Wesphal avait servi aux armées, sous les ordres du maréchal de La Motte-Haudancourt.
— Un Frondeur ! coupa Nissac.
— Sans doute, mais un maréchal de France.
— On peut être maréchal de France et
trahir son pays. Au reste, maréchal, il ne le sera plus longtemps. Allons, mettez-vous
en garde et jouons cette comédie que vous souhaitez. Pour ne point vous tuer
mais convaincre vos amis de votre ardeur à combattre, dois-je vous couper le
nez ? C’est un coup que je réussis fort bien.
Le jeune homme, par manifestation instinctive,
porta la main à son organe nasal, au reste de petite taille :
— C’est-à-dire, monsieur…
— C’est entendu ! Vous crever un œil,
alors ? Vous serez borgne, mais pourrez vous faire plaindre des jolies
Frondeuses.
— Eh bien, monsieur… Ma vue n’est point
excellente et je crains, hélas, qu’il ne me faille mes deux yeux.
— N’insistons pas !… Je vous propose
meilleur marché : je vous transperce le bras en trois endroits différents.
On vous amputera. Si nous songeons au courage, un manchot, cela fait cossu, installé
en la gloire, me semble-t-il.
Le jeune Frondeur n’en finissait pas de blêmir :
— Ah, monsieur, monsieur, une fois encore !…
C’est que voyez-vous, j’aime bien mes deux bras. Ils sont attachés à moi, certes,
mais pareillement, je me suis attaché à eux. Nous avons bon commerce ensemble
depuis ma naissance. En perdre un aujourd’hui me serait grande tristesse.
Nissac, bien qu’il n’en laissât rien paraître
et conserva un visage sévère, s’amusait. Il trouvait le jeune homme des plus sympathiques,
quoique d’un courage défaillant.
Sur le ton de la confidence, presque à voix
basse, le comte de Nissac suggéra alors :
— Certes, tout cela, le nez, les yeux, les
bras sont choses bien visibles et je vous comprends. J’ai donc bien meilleure
idée…
Autour d’eux, les combats avaient cessé. On
les regardait avec d’autant plus de curiosité qu’on n’entendait point leurs
paroles.
Dans un murmure, Nissac précisa :
— Vous avez entre les jambes paire de
choses qui ne se voient point sauf en une intimité que, prévenu de votre
infirmité nouvelle, vous pourriez éviter judicieusement d’exposer. N’est-ce
point solution juste et bonne ?
Le
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