Les foulards rouges
que l’on appelle « Hôtel particulier » l’éloignait de
Mathilde sans qu’il l’eût jamais souhaité.
Les sabots du cheval s’enfonçaient dans l’eau
montée de la rivière de Seine en crue.
On vit des ombres.
Fervac, accompagné de monsieur de Bois-Brûlé, prit
le cheval aux rênes que lui tendait le comte tandis que Florenty, à force de
rames, approchait sur une barque dont le fond racla le pavé à peu de profondeur
sous les eaux.
Avec mille précautions, les bras solides de
Florenty prirent Mathilde de Santheuil aux hanches et la déposèrent dans la
barque où la rejoignit Nissac.
Puis, tandis que monsieur de Bois-Brûlé
imprimait une forte poussée à l’arrière de la frêle embarcation, l’ancien faux
saunier commença à ramer.
Anthème Florenty, à
l’avant, poussait sur les rames tandis qu’assis à l’arrière, côte à côte, Mathilde
de Santheuil et le comte de Nissac regardaient avec stupeur les maisons de cette
étrange cité lacustre qui semblait de plus en plus enfoncée sous les eaux à
mesure qu’ils avançaient.
— Rien à signaler ? demanda Nissac
en s’arrachant au spectacle extraordinaire de cette nouvelle Venise qui s’enfouissait
sous la rivière de Seine.
Florenty, d’un naturel peu causant, réfléchit
sur la formulation de ce qu’il avait à dire. La méthode avait un inconvénient, la
lenteur de la réponse, mais comportait un avantage, la concision du propos.
Florenty se décida enfin :
— Monsieur le comte, voici deux heures
que je rame dans le quartier sans y rien remarquer. En revanche, alentour…
Nissac attendit sans impatience, ce dont lui
sut gré Florenty qui reprit :
— Auberges et tavernes sont bien mal
fréquentées. Tous ceux-là, qui sont mauvaises gens, refluent de la province
vers Paris où ils ont grande espérance, à la faveur de la Fronde, de se livrer
au meurtre, au viol et au pillage.
Nissac ne répondit pas, s’étant laissé
distraire par le spectacle. Certes, il avait vu l’eau refluer des fossés des
remparts et n’ignorait pas que la Seine recouvrait la rue Saint-Antoine, le
riche quartier du Marais et le faubourg Saint-Germain mais ici, place Maubert, l’effet
semblait plus saisissant encore car l’eau arrivait au-dessus du premier étage
des maisons.
Il sentit à son côté le corps de Mathilde et s’émerveilla
de cette promenade en barque dans une ville à demi engloutie.
Cependant, ni lui ni la jeune femme n’avaient
encore rien vu en comparaison de leur stupéfaction lorsqu’ils découvrirent la
cathédrale Notre-Dame.
La lune éclaboussait la façade, le parvis n’était
plus qu’un grand lac et Notre-Dame elle-même, un vaisseau dont les cales
prenaient l’eau et qui, alourdi, paraissait proche d’un impossible naufrage
dans un impressionnant silence.
Ému, Nissac chercha la main de Mathilde qui
aussitôt glissa la sienne dans celle, dure et calleuse, du général.
Ils échangèrent un long regard puis, malgré
eux, baissèrent la tête lorsque la barque pénétra en la cathédrale.
20
Un jésuite dans la trentaine, l’air sec, l’allure
aristocratique, les accueillit au tiers d’un escalier dont les premières
marches disparaissaient sous l’eau.
Pas une parole ne fut échangée.
Resté seul, Florenty, qui se doutait que l’attente
serait fort longue, dirigea la barque vers le chœur liturgique que la montée
des eaux n’avait point épargné.
Pendant ce temps, sans s’attarder aux mays splendides
accrochés aux piliers de la nef, le couple, précédé du jésuite, montait des
dizaines de marches, s’étonnant parfois de tel ou tel détail qui semblait fine
dentelle de pierre ouvragée.
Ils débouchèrent enfin à l’air libre, sur la
tour du midi qui, avec sa jumelle, toisent le parvis.
Puis, par des portes et escaliers dérobés, ils
gagnèrent le cœur secret de la cathédrale. On délaissa encore des portes à main
gauche comme à main droite avant que le jésuite, baissant sa torche, ne frappe
contre une paroi de chêne.
— Qu’ils entrent ! lança une voix
grave.
L’homme, auquel il
semblait impossible de donner un âge, paraissait doté de deux visages. L’un, côté
droit, se singularisait par l’austérité des traits. L’autre, côté gauche, n’était
que cicatrices boursouflées qui soulevaient le cœur.
Trois chandeliers d’argent éclairaient
généreusement la pièce et, montrant deux sièges à haut dossier, le général des
jésuites
Weitere Kostenlose Bücher