Les foulards rouges
jeune homme se cabra avec indignation et
haussa même le ton, oubliant ses amis :
— Ah non !… Ah mais non !… Ah
mais ça, jamais !… Tranchez-moi le nez, crevez-moi un œil, mangez mes
oreilles, amputez mes doigts de pied, prenez même une jambe, tiens, deux, mais
de grâce, ne touchez point… à cela !
Le comte de Nissac ne put s’empêcher de
sourire :
— Fort bien, je vous laisse ce que vous
chérissez. Quel est votre nom ?
— Henri de Plessis-Mesnil ; marquis
de Dautricourt.
Le comte ne put cacher sa surprise ?
— Le fils de l’amiral ?
— Le petit-fils. L’auriez-vous connu, monsieur ?
Le comte lui jeta un regard sévère.
— Vous mériteriez d’être gravement puni
si vos vingt ans n’excusaient bien des choses !… Votre grand-père a servi
sous les ordres de mon père.
Le jeune homme fronça les sourcils.
— Vous seriez…
Nissac le coupa :
— Loup de Pomonne, comte de Nissac et
général d’artillerie.
— Ah, monsieur, nul ne m’avait dit !…
— À moi non plus. Allons, en garde.
En quelques secondes éblouissantes, l’affaire
fut conclue et le jeune marquis, blessé au gras du bras gauche, conservait son
honneur. Mais la manière de Nissac glaçait quiconque la regardait, ce que
voyant, les Frondeurs survivants jetèrent leurs épées.
Aussitôt, Jérôme de Galand s’approcha, l’air
soupçonneux :
— Vous connaissez ce jeune écervelé ?
— Non, mais la chose eût été possible.
Le comte regarda les Frondeurs défaits qu’on
rassemblait assez rudement :
— Qu’allez-vous en faire ?
Galand haussa les épaules.
— Que puis-je en faire ?… Si je les
mène au Petit-Châtelet, ils seront libérés dans la minute par leurs amis qui
tiennent Paris.
— Alors faites-les partir. Ils ne savent
rien et nous avons à faire.
Ainsi fut-il ordonné.
Armés de pelles, Anthème
Florenty, l’ancien faux-saunier, et monsieur de Bois-Brûlé achevèrent le
travail bien entamé par les Frondeurs.
On mit au jour un cercueil ordinaire qui fut
hissé hors la fosse. Nicolas Louvet, à la lueur des flambeaux, brisa le
couvercle…
Tous les hommes présents firent un pas en
arrière.
Des militaires aux policiers en passant par
les rudes hommes promis aux galères, ils eurent cet instinctif mouvement de
recul qui tend à refuser une réalité trop insoutenable en cela qu’elle nie tout
respect de la vie.
Le lieutenant de police criminelle rompit le
silence :
— Je vous avais prévenus…
Nissac regarda le policier droit dans les yeux :
— On ne peut prévenir contre l’horreur
absolue.
— Je suis désolé, monsieur le comte. Et, à
présent, qu’allons-nous faire ?… Nous savons si peu de choses de l’Écorcheur !
Le comte de Nissac observa le paysage désolé. Les
nuages dispersés, la lune s’était levée tout à fait et on y voyait soudain
comme en plein jour.
Il se sentait dépassé. Ce duel au milieu des
croix et des pierres tombales dont le temps effaçait à tout jamais les noms
comme s’il entendait nier que ces malheureux morts eussent jamais existé, une
chouette perchée sur un frêne et qui lançait son hululement sinistre, l’église
qui menaçait bientôt ruine, le vent qui hurlait furieusement sur ce paysage
désolé, la Seine qui submergeait des quartiers entiers de Paris, la lune qui
blanchissait étrangement les tombes, le froid vif et piquant qui transperçait
jusqu’aux os, les visages de granit des hommes durs qui l’entouraient et dont
il devinait le désarroi et peut-être l’inconscient désir de retourner en le
monde de l’enfance, le jeune marquis insensé qui ignorait tout de la mission
abominable qu’il accomplissait et dont il ne se serait peut-être jamais remis
et enfin cette jeune fille, ce pauvre corps supplicié que la vie avait sans
doute préparée à un autre destin, évidemment plus faste : vivre, aimer, rire,
enfanter, grappiller du bonheur quand il était possible, vieillir en profitant
de ce qu’apporte chaque âge de la vie…
Il se sentit aussi misérable que la pauvre
charogne écorchée.
— Qu’allons-nous faire, monsieur le comte ?
répéta Jérôme de Galand.
Nissac respira profondément et s’obligea à
regarder les restes de la jeune fille.
— Retrouvez celui qui a fait cela !
— Soit. Et après ?
— Après ?… Nous verrons s’il existe
une justice ou si cela appelle une autre organisation du monde.
Sans même se rendre compte de
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