Les foulards rouges
duc de Bouillon.
— Vos espions, vos fameux espions !…
lança Condé, méprisant.
Le Premier ministre choisit de s’en amuser :
— Ils sont parmi les meilleurs du royaume.
Le prince de Condé, ravi qu’on lui offrît
ainsi pareille transition sur un sujet qui l’ulcérait, conserva un ton vif pour
demander à Mazarin :
— À ce propos, on me rapporte l’étrange
dévouement de Nissac à votre personne et qu’il serait dans l’un quelconque de
vos repaires secrets.
— C’est un fidèle sujet du royaume !
répondit onctueusement Mazarin, n’ignorant point qu’il portait à ébullition la
colère du prince.
Ce qui se vérifia sur l’instant :
— Mais enfin, cela défie le bon sens !
En outre, Nissac est de ceux que l’on n’achète point.
— C’est exact.
— Savez-vous qui il est ? rugit le
prince de Condé.
Mazarin, qui se délectait, joua l’imbécile :
— Loup de Pomonne, comte de Nissac, trente-huit
ans, très ancienne noblesse, lieutenant-général de votre artillerie.
— Cela n’a pas de sens ! répéta Condé
sous le regard faussement étonné du Premier ministre.
Puis, Mazarin ne répondant point, le prince
poursuivit :
— C’est le meilleur de mes officiers !
Ah, Dieu, comme il me manque déjà !
Il hésita un instant, jaugeant Mazarin, et
reprit d’un ton radouci et d’une voix où perçait une évidente tristesse :
— Il s’est vraiment révélé lors de la
prise d’Arras, voici neuf ans. Avec une artillerie vieillotte dont les
officiers répugnaient à quitter Paris pour venir se battre, Nissac a fait des
merveilles. Un an plus tard, lorsque les Espagnols bousculèrent l’armée royale
à La Mariée, on le remarqua encore pour son courage et son intelligence. Encore
un an, et il entre avec ses canons en vainqueur à Barcelone ! Il était à
mes côtés à Rocroi, qui fut mon triomphe, et enfin à Lens, où vous connaissez
sa conduite magnifique. Savez-vous…
Il s’interrompit, allant et venant, soucieux, puis
s’immobilisa devant le cardinal :
— Non, vous ne savez point !… À Lens,
la veille de la bataille, Nissac m’a proposé un plan qui bouleversait art de la
guerre et règles de l’artillerie. Oui, il m’a proposé de placer ses canons
devant mes troupes, vous entendez bien : devant !… Devant, on n’avait
vu chose semblable en aucune bataille mais j’acceptai car Nissac est un général
invaincu et il porte chance !
— Il porte chance…, répéta Mazarin, songeur.
Le prince n’entendit pas même le cardinal, poursuivant :
— Lens !… Ses pièces de campagne et
de batteries ont ravagé l’infanterie espagnole totalement surprise par ce
procédé. Cela m’a permis de charger aussitôt, comme la foudre, d’enfoncer les
tercios, d’égorger leurs carrés d’infanterie à l’arme blanche, de leur faire
quatre mille morts, sept mille prisonniers et de ramasser une forêt d’étendards !…
J’ai trop besoin de lui ! Rendez-moi immédiatement le comte de Nissac !
Mazarin mima un geste d’impuissance :
— Mais… Comment vraiment savoir où il se
trouve ?… Avec ce désordre, ces événements…
Le prince de Condé jeta au Premier ministre un
regard dont la froideur indiquait assez comme il n’était point dupe.
Mazarin soupira, s’approcha de son bureau et y
saisit une note :
— Mes espions…
— Vos espions !… coupa le prince en
haussant les épaules.
Mazarin continua, imperturbable :
— Mes espions me font tenir qu’à Paris on
s’inquiète fort du ravitaillement que nous avons coupé. Il est possible que les
insurgés tentent bientôt une sortie pour desserrer l’étau que vous avez
installé autour de la capitale. En ce cas, il serait de bonne politique de
protéger moulins et dépôts, peut-être même de tendre quelque guet-apens afin de
les surprendre pour mieux les défaire.
Le prince de Condé toisa le Premier ministre
de la tête aux pieds, en une attitude d’une rare insolence :
— Comptez-vous m’apprendre l’art de la
guerre ?
Mazarin perdit légèrement son sang-froid, montant
le ton :
— J’entends surtout que vous tiriez grand
profit des renseignements et déductions d’un militaire de très haut rang et de
grande intelligence qui sur ordre s’est laissé enfermer dans Paris assiégé et
observe, entre autres choses, les mouvements de troupes de la Fronde.
— Un militaire de très haut rang ? répéta
le prince, toujours
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