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Les foulards rouges

Les foulards rouges

Titel: Les foulards rouges Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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leçon, après le voyage à cheval
depuis Gien, c’est trop.
    Ils étaient arrivés la veille, comme le soir
commençait à tomber.
    « Mousquet », le chien noir et feu
du comte qui attendait depuis des années le retour de son maître près du
pont-levis, s’évanouit pour tout de bon et son corps manqua basculer dans les
douves. Nissac, très inquiet, avait sauté de cheval et ranimé son chien en lui
donnant quelques légers soufflets… et un baiser sur la truffe humide dès que la
pauvre bête ouvrit les yeux… pour s’évanouir à nouveau – mais tout faussement –
tant il prenait grand plaisir aux caresses du comte.
    Il faillit en être de même avec le couple de
vieux serviteurs qui commençait à ne plus écarter l’idée selon laquelle le dernier
comte de Nissac se trouvait mort et enterré.
    Mais le sens du devoir l’emporta sur l’émotion
et, au dîner, on servit un délicieux potage de dindon à la chicorée, cailles
grasses, tourtes de blanc de chapon ainsi que beignets dorés à la confiture de groseilles.
    Puis le comte fit visiter le château à la
baronne qui s’émerveilla des salles voûtées, des tours à créneaux dominant la
mer aux reflets scintillants et la campagne qu’on distinguait mal malgré un
fort joli clair de lune. On s’arrêta à la chapelle et Mathilde, en la salle d’armes,
regarda avec stupeur des armures vieilles de plusieurs siècles. Enfin, au-dessus
de la porte du donjon, il lui montra une date gravée et à demi effacée par le
vent et le sel marin contenu en l’air : 1111.
    Il sourit.
    — Mon lointain ancêtre activa les travaux
pour que le château fût achevé en l’an 1111. Premier, toujours premier, le
chiffre « 1 ». Point de second ou de troisième. Avec les siècles, le
mot changea et c’est avec légère drôlerie que de Nissac à Nissac, de père en
fils, on se soufflait : « Quatre fois meilleur ! ». Tu
comprends que j’hésite à dire sa date de construction, de crainte soit qu’on me
croie alors vaniteux, soit qu’on pense que l’endroit est vraiment trop ancien. Mais
puisque tu seras un jour comtesse de Nissac, tu dois savoir qu’avant existait
autre château sur les fondations duquel celui-ci fut bâti. Le premier comte de
Nissac dont on retrouve traces remonte à l’époque du roi Lothaire, l’avant-dernier
des rois carolingiens : te voilà bientôt, mon tendre amour, portant nom
plus ancien que celui des Bourbons qui eux le savent, et se gardent d’en jamais
parler !
    Il lui vola sa réponse en l’embrassant sur les
lèvres puis, prenant la baronne dans ses bras, le comte la mena en sa chambre
qui donnait sur la mer.
    « Mousquet », couché au pied du lit,
s’endormit aussitôt qu’il s’allongea.
    Les amants ne s’abandonnèrent au sommeil que
beaucoup plus tard…
    Ils chevauchaient à
la limite des vagues.
    Au loin, dans la lumière d’argent et de
violette d’un ciel tourmenté, on distinguait l’île de Tatihou. À l’approche des
chevaux, des mouettes paresseuses s’envolaient sur quelques toises, se reposant
aussitôt en un froissement d’ailes pour chercher leur nourriture dans le sable
humide.
    Le vent salé et piquant rosissait les joues de
Mathilde, la rendant plus désirable encore aux yeux du comte.
    Ils arrêtèrent les chevaux.
    — Comme j’aime ton pays ! dit
Mathilde.
    — Il est pourtant bien rude, presque
brutal !
    — Il est des beautés brutales : toi !
    Il rit.
    — Je ne suis point beau, et ne souhaite
point l’être sauf si la chose est pour toi de quelque importance !
    Ils passaient du « vous » au « tu »
par jeu, ou selon les circonstances. Ainsi le vouvoiement était-il de rigueur
lors des leçons d’escrime d’autant plus sérieuses que le comte, dès le matin, enseigna
à la jeune femme le secret de ce coup redoutable qui lui venait de ses ancêtres
et tuait l’adversaire au premier miroitement d’épée. Certes, il fallait
envisager bien des leçons encore mais la très jolie baronne manifestait tant d’heureuses
dispositions qu’en toutes choses les délais se trouvaient raccourcis.
    Ils descendirent de cheval et elle lui prit la
main.
    — Je n’avais jamais vu la mer. En la
découvrant ce matin, depuis le donjon, il me semble que je ne pourrai jamais
plus vivre en l’étroitesse des villes.
    Nissac grimaça :
    — Un époux vieillissant, un couple de
vieux serviteurs qui n’est point éternel, un chien si terrible qu’il

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