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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick deWitt
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pendant que le courant d’air qui passait entre les lattes du plancher me gelait le derrière. Très vite j’ai dû faire une croix sur mes rêves de festins. Eunice protégeait ses petits pains aussi jalousement qu’une maman ours. De temps à autre, elle me donnait un bol de ragoût fadasse, et donc on peut dire qu’elle n’était pas complètement méchante. Et quant au ragoût lui-même, c’était plutôt une espèce d’eau colorée, sans rien dedans, ou alors il fallait vraiment chercher. Mais comme j’ai dit, il faisait horriblement froid dehors, et j’avais décidé de tenir bon et de passer l’hiver dans cette cabane, d’une façon ou d’une autre. Mon intention était, à l’arrivée des beaux jours, de la dépouiller et de disparaître. Rirait bien qui rirait le dernier. Mais elle a compris ce que je complotais, et m’a coupé l’herbe sous le pied sans que je la voie venir. Un jour je suis rentré du saloon et j’ai trouvé un grand type qui n’avait pas l’air commode assis à table. Il avait devant lui une assiette pleine de petits pains. J’ai tout de suite compris. Je leur ai souhaité bonne chance et je suis parti.
    â€” Une attitude généreuse de votre part.
    â€” Je suis revenu une heure plus tard et j’ai essayé de mettre le feu à la cabane. Le type m’a surpris penché sur ma boîte d’allumettes et m’a donné un coup de pied dans le fondement d’une telle force que j’ai décollé du sol. Eunice, qui regardait la scène par la fenêtre, s’est mise à rire. C’était la première fois que je la voyais rire. Et elle a ri longtemps. En tout cas, j’ai honte de le dire, mais après cet épisode douloureux j’étais complètement désabusé, et je me suis momentanément converti en voleur. Je n’arrivais pas à comprendre mon malheur. Quelques mois plus tôt à peine, j’étais tranquille avec mes livres, propre, à l’abri, bien nourri et aussi heureux qu’on puisse l’être. Et tout à coup, sans que j’y sois pour quoi que ce soit, je me voyais contraint de m’introduire nuitamment dans des granges et de me terrer dans de la paille pleine de fumier pour ne pas mourir de froid. Je me suis dit, Hermann, le monde t’a mis un gros coup de poing dans la figure   ! J’ai décidé de riposter.
    â€” Qu’est-ce que vous voliez   ?
    â€” Au début, des choses de première nécessité   : une miche de pain par ci, une couverture par là, une paire de chaussettes en laine, de petites choses dont personne ne devrait être privé. Mais forfait après forfait, je suis devenu plus rusé et sûr de moi, mais aussi plus avide   ; au bout d’un moment j’ai commencé à dérober tout ce qui me tombait sous la main, juste pour le plaisir pernicieux que cela me procurait. Des choses dont je n’aurais jamais l’utilité. Des bottes de femme. Un berceau. À un moment donné je me suis retrouvé en train de m’enfuir d’un abattoir avec dans les bras une tête de vache décapitée. Pour quoi faire   ? À quoi cela pouvait-il bien me servir   ? Quand elle est devenue trop lourde à porter, je l’ai jetée dans une rivière. Elle a flotté un moment avant de heurter une pierre et de couler. Voler était devenu une maladie. Je crois que j’y voyais une espèce de vengeance contre tous ceux qui ne grelottaient pas de froid et qui ne mouraient pas de faim, et qui n’étaient pas seuls. C’est à cette époque que l’alcool a pris possession de moi, corps et âme. Vous parlez d’une pente glissante.
    â€” Mon père était un buveur. Et Charlie aussi.
    â€” C’est une chose dont je souffre encore, et j’en souffrirai peut-être toute ma vie. Bien sûr, mieux vaudrait reboucher la bouteille pour toujours. J’ai identifié le problème. Je sais que l’alcool ne me convient pas. Pourquoi ne pas arrêter   ? Pourquoi ne pas y mettre un terme   ? Non, ce serait trop logique. Ce serait bien trop raisonnable. Oh, c’est une pente glissante, ça c’est sûr. Eh bien, les jours et les mois se sont succédé, et je suis devenu de plus en plus sale et

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