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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick deWitt
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dépravé, à l’intérieur comme à l’extérieur. On croise parfois des gens qui sont au fond du trou, mais qui mettent pourtant un point d’honneur à avoir les ongles propres, des hommes qui se vantent de leurs bains hebdomadaires, quel que soit le prix que cela leur coûte. Ils vont régulièrement à la messe et restent patiemment assis dans les travées avec leurs barbes bien peignées, à attendre sans la moindre trace d’amertume que change leur destin. Inutile de préciser que je n’étais pas de ceux-là. En vérité, j’étais tout le contraire. La saleté m’attirait irrésistiblement. Je n’avais qu’une envie, c’était de me vautrer dedans, de
vivre
dedans. J’ai été ravi de perdre mes dents et mes cheveux. Pour faire bref, je divaguais comme l’idiot du village, sauf que le village en question n’était pas un petit ensemble de maisons au toit de chaume, mais les États-Unis d’Amérique. J’ai fini par être obsédé voire complètement aliéné par l’idée que j’étais pour de bon fait de déchets humains.
    â€” Quoi   ?
    â€” Un amas de déchets ambulant, c’était ça l’idée. D’excréments. Mes os n’étaient que des excréments calcifiés. Mon sang, des excréments liquides. Ne me demandez pas de vous dire pourquoi. C’est quelque chose que je ne pourrai jamais expliquer. Je crois que cette drôle d’idée m’est venue parce que, si je ne me trompe, je souffrais de scorbut, ce qui, ajouté à l’alcool et à mon déséquilibre mental, n’a pas arrangé les choses.
    â€” De la matière fécale vivante.
    â€” Je me délectais à cette pensée. J’adorais par-dessus tout me frayer un chemin dans la foule en touchant et en tripotant les bras nus des femmes seules. Les traces de ma crasse sur leurs poignets et leurs mains pâles me satisfaisaient au plus haut point.
    â€” J’imagine que les gens ne vous appréciaient guère.
    â€” Mais ils aimaient bien parler de moi. Sur le plan social, vous vouliez dire   ? Non, j’avais mauvaise réputation. Cela dit, je ne restais jamais assez longtemps au même endroit pour être autre chose qu’un pauvre type dans la rue. Fou ou pas, je n’étais pas un imbécile, et je savais qu’il valait mieux agir et déguerpir avant de prendre des coups. Je volais un cheval et m’en allais dans la ville voisine, pour reprendre ma campagne de contamination. Mes journées n’étaient qu’ordure et laideur, et le plus noir des péchés   ; je n’étais qu’à moitié vivant, je tenais à un fil en attendant et en espérant, je crois, la mort. Puis un matin je me suis réveillé dans un lieu des plus étranges. Vous ne devinerez jamais où je me trouvais. Et ne dites pas la prison   !
    â€” C’est ce que j’allais dire.
    â€” Je vais vous raconter. Je me suis réveillé avec une gueule de bois monumentale sur un lit de camp dans une caserne militaire. J’étais lavé, et ma barbe avait été rasée. J’avais les cheveux coupés courts, et je portais un uniforme de soldat. Le clairon me hurlait dans les oreilles et j’ai cru que j’allais mourir, littéralement, d’effroi et de confusion. Puis un soldat plein d’entrain est arrivé et m’a attrapé par le bras. “Réveille-toi, Hermann, m’a-t-il dit. Si tu rates l’appel une fois de plus tu finiras au trou   !”
    â€” Que s’était-il passé   ?
    â€” C’est précisément ce que je voulais savoir. Mais mettez-vous à ma place. Comment trouver la réponse   ?
    â€” Il fallait demander à quelqu’un.   »
    D’une voix sérieuse, Warm débita, «   Pardonnez-moi, cher ami, mais auriez-vous l’obligeance de me dire comment je me suis retrouvé dans l’armée   ? Ce n’est qu’un détail, mais je n’arrive pas à m’en souvenir.
    â€” Ce serait une façon bien maladroite d’engager la conversation, admis-je. Mais qu’y avait-il d’autre à faire   ? Vous ne pouviez pas tout simplement jouer le jeu.
    â€” Pourtant, c’est exactement ce que j’ai fait. Je suis

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