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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick deWitt
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rentré dans le rang, dans tous les sens du terme. Il faut que vous sachiez, Eli, que j’étais complètement déboussolé. En tant qu’ivrogne, j’avais l’habitude de perdre une heure ou deux par-ci par-là, voire une soirée entière. Mais combien de temps avait-il fallu pour que je rejoigne l’armée et que j’établisse des relations avec les autres soldats, qui tous avaient l’air de bien me connaître   ? Comment se pouvait-il que je n’aie aucun souvenir d’un changement aussi radical   ? J’ai décidé de faire profil bas et de me fondre dans la masse jusqu’à ce que j’y voie un peu plus clair.
    â€” Et vous avez réussi   ?
    â€” Tout avait pour origine ce soldat plein d’entrain, qui s’appelait Jeremiah. De temps à autre, pour tromper l’ennui, il aimait bien aller en ville et trouver le plus démuni des pochards. Il lui donnait à boire, lui soutirait des informations personnelles, puis, une fois que l’homme avait complètement perdu le contrôle de lui-même, il le ramenait à la caserne, lui faisait enfiler un uniforme de soldat, et le mettait au lit. Voilà ce qui m’était arrivé.
    â€” Vous lui en avez voulu, de vous avoir piégé comme ça   ?
    â€” Pas particulièrement, parce que le temps que je comprenne ce qui s’était passé, j’étais assez heureux d’être là-bas. La vie militaire a apporté un grand nombre de changements positifs dans ma vie. Je devais me laver régulièrement, ce que je n’aimais pas au début, mais que j’ai enduré patiemment, et ce retour à la propreté a fini par faire disparaître mon obsession des excréments. J’étais nourri, et les lits de camp étaient confortables, les bâtiments suffisamment chauffés, et il y avait toujours un petit quelque chose à boire le soir. On jouait aux cartes et on chantait des chansons. Des sacrés gaillards, ces soldats. Une bande d’orphelins en fait, seuls au monde, qui passaient leur temps ensemble sans avoir grand-chose à faire. Ainsi, six ou sept mois se sont écoulés tranquillement, et je commençais à me demander comment j’allais pouvoir sortir de là lorsque j’ai eu la chance de me lier d’amitié avec un lieutenant-colonel du nom de Briggs. Si je ne l’avais pas rencontré, nous ne serions pas assis vous et moi, à attendre de récolter les trésors de la rivière.
    â€” Que s’est-il passé   ?
    â€” Un soir, je passais devant sa chambre lorsque j’ai remarqué que sa porte, qui était habituellement non seulement fermée mais verrouillée à double tour, était entrouverte. Comme nombre de soldats, j’étais curieux d’en savoir plus à son sujet, car contrairement à la plupart des officiers, qui vous écrasaient de leur autorité et vous aboyaient dessus, Briggs était timide et effacé. C’était un homme frêle aux cheveux grisonnants et au regard rêveur, toujours isolé dans sa chambre à faire Dieu sait quoi. Les mystères sont rares dans l’armée   ; je n’ai pas pu m’empêcher d’aller voir de plus près. J’ai ouvert la porte et regardé autour de moi. Dites-moi, Eli, que croyez-vous que j’aie vu   ?
    â€” Je ne sais pas.
    â€” Cherchez.
    â€” Je ne sais vraiment pas, Hermann.
    â€” Vous n’êtes pas trop porté sur les devinettes, hein   ? Eh bien, d’accord, je vais vous le dire. J’ai vu notre Briggs, debout, seul, absorbé dans ses pensées, vêtu d’une blouse en coton blanc. Sur la table étaient étalés devant lui des brûleurs, des vases à bec, et toute sorte de matériel de laboratoire. Un nombre incalculable de volumineux ouvrages étaient éparpillés dans la pièce.
    â€” C’était un chimiste   ?
    â€” Du dimanche, et pas très doué, ai-je appris par la suite. Mais j’ai été hypnotisé quand j’ai vu son matériel. Sans savoir ce que je faisais, j’ai continué à avancer et me suis planté comme paralysé devant son équipement. Briggs a fini par remarquer ma présence ébahie   ; il a rougi et m’a injurié en me réprimandant pour mon impertinence avant de m’ordonner

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