Les Frères Sisters
bon, et le frisson agréable que me procura cette brosse à dents mâimpressionna grandement. Je décidai que je lâutiliserais chaque jour. Jâétais en train de la tapoter sur lâarête de mon nez, en ne pensant à rien ou en pensant vaguement à plusieurs choses en même temps, lorsque je vis lâours sortir du bois dâun pas lourd, et se diriger vers Tub.
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Câétait un grizzly. Il était grand mais efflanqué, et venait sans doute de sortir de lâhibernation. Tub le vit ou le sentit et commença à se cabrer et à sauter sans pouvoir se détacher de la racine de lâarbre. Debout dans lâembrasure de la porte, je levai mon pistolet et tirai six coups rapides, mais dans une telle panique quâaucun nâatteignit sa cible. Lâours ne fut pas le moins du monde impressionné, et poursuivit son chemin. Le temps que je prenne mon deuxième pistolet, il se dressait devant Tub. Je fis feu à deux reprises, sans succès  ; il bondit et dâun violent coup de patte à lâÅil assomma Tub, qui tomba par terre. Lâours resta derrière lui, et je ne pus ajuster mon tir avec précision sans risquer de toucher mon cheval. Je nâeus dâautre choix que de franchir le seuil maudit sous peine de voir ma bête massacrée, et de me jeter dans la mêlée en criant aussi fort que je le pouvais. Le grizzly remarqua mon arrivée, et fut décontenancé  : devait-il continuer à tuer le cheval, besogne déjà bien entamée, ou devait-il sâoccuper de ce bruyant bipède  ? Tandis quâil pesait le pour et le contre, je lui logeai deux balles dans la tête et deux dans la poitrine, et il tomba raide mort sur le sol. Je ne savais pas si Tub était mort ou vivant. Il ne semblait pas respirer. Je me retournai vers lâentrée sombre de la cabane. Mes mains et mes jambes se mirent à trembler. Je vibrais de partout.
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Je regagnai la cabane. Malédiction ou pas, je ne voyais pas lâintérêt dâinformer Charlie de ce qui venait de se passer. Je fis le point sur mon état de santé, mais ne remarquai rien dâinhabituel à part les vibrations, que je mis sur le compte de la nervosité et qui, quoi quâil en fût, sâatténuaient. Tub demeurait immobile, et jâétais persuadé quâil était mort  ; cependant, lorsquâune sittelle se posa sur son museau, il se leva dâun bond et secoua son encolure en renâclant. Je mâéloignai de la porte et mâallongeai sur le lit. Il était humide, déformé, avec une odeur de gazon. Je fis un trou et mâaperçus quâil était plein dâherbe et de terre. Quelque préférence de sorcière, peut-être. Je changeai de place et mâallongeai sur le sol devant le feu. Je me réveillai une heure plus tard. Mon frère criait mon nom et sâattaquait à la fenêtre avec une hache.
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Quand je me fus extrait du trou, nous nous approchâmes de lâours défunt et nous assîmes sur le sol à côté de lui. Charlie dit, «  Jâai vu ce monsieur étendu par terre, mais tu ne répondais pas. Alors jâai regardé par la porte et je tâai vu allongé sur le dos. Câest très désagréable de vouloir pénétrer dans une maison sans pouvoir le faire.  » Il me demanda ce qui sâétait passé, à quoi je répondis, «  Pas grand-chose. Lâours est sorti des bois et a assommé Tub. Je lâai visé avec précision et je lâai tué.
â Combien de fois as-tu tiré  ?
â Jâai vidé deux pistolets, et je lâai touché deux fois avec lâun et deux fois avec lâautre.  »
Charlie examina les blessures de lâours. «  Tu as tiré depuis la fenêtre ou depuis la porte  ?
â Pourquoi tu me poses toutes ces questions  ?
â Pour rien.  » Il haussa les épaules. «  Bien visé, mon frère.
â Jâai eu de la chance, voilà tout.  » Espérant changer de sujet, je lui demandai dâoù venait la hache.
«  Des prospecteurs qui se dirigeaient vers le sud  », dit-il. Un de ses poings était écorché et je lui demandai comment il sâétait blessé. «  Les hommes hési-taient à me
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