Les Frères Sisters
je me retournai pour regarder les duellistes prendre place dans la rue. Ils étaient facilement reconnaissables  : Stamm le palefrenier nâétait pas rasé, son visage était buriné et il portait du cuir et du coton élimé. Il se tenait debout, seul, sans témoin, et fixait la foule dâun regard vide, les bras ballants. Lâavocat, Williams, portait un costume gris fait sur mesure, la raie au milieu  ; sa moustache était taillée et lissée. Son témoin, doté de la même allure de dandy, aida Williams à enlever son manteau, et la foule observa lâavocat se livrer à quelques exercices dâassouplissement des genoux. Il pointa un pistolet fantôme sur Stamm, et mima un coup de feu. Devant cette pantomime, des rires étouffés fusèrent dans la foule cependant que le visage de Williams demeurait parfaitement sérieux et solennel. Je me dis que Stamm était saoul ou quâil lâavait été très récemment.
«  Pour qui êtes-vous  ? demandai-je à la femme de lâhôtel.
â Stamm est un salopard. Je ne connais pas Williams, mais il mâa lâair du même acabit.  »
Lâhomme à lâenfant sur les épaules nous entendit, et fit, «  Monsieur Williams nâest pas un salopard. Monsieur Williams est un gentleman.  »
Je me tournai lentement. «  Câest un ami à vous  ?
â Oui, et jâen suis fier.
â Jâespère que vous lui avez fait vos adieux. Il sera mort dans moins dâune minute.  »
Lâhomme secoua la tête. «  Il nâa pas peur.  »
Câétait une chose si stupide à dire que jâéclatai de rire. «  Et alors  ?  »
Lâhomme balaya mon commentaire dâun geste. Mais lâenfant mâavait entendu  ; il me jeta un regard craintif. Je lui dis, «  Si ton père veut te montrer de la violence, aujourdâhui, tu vas être servi.  » Lâhomme resta immobile un instant, puis jura entre ses dents, et se fraya un chemin en poussant les gens autour de lui pour voir le duel depuis un autre endroit. Jâentendis alors le témoin de Williams apostropher Stamm  : «  Où est votre témoin, monsieur  ?
â Je ne sais pas, et je mâen moque  », répondit Stamm.
Williams et son témoin se parlèrent en aparté. Le témoin hocha la tête et demanda à Stamm sâil pouvait examiner son pistolet. Stamm répéta quâil sâen moquait, et le témoin sâempara de lâarme pour en vérifier la mécanique. En donnant son accord dâun bref signe de tête, il demanda à Stamm sâil souhaitait à son tour contrôler le pistolet de Williams, et Stamm répondit que non. Puis Williams approcha, et les deux hommes se firent face. Malgré son air téméraire, Williams ne semblait pas tenir à se battre  ; et comme on pouvait sây attendre il chuchota quelque chose à lâoreille de son témoin, et ce dernier dit à Stamm, «  Si vous souhaitez vous excuser, monsieur Williams considérera lâaffaire close.
â Je ne veux pas, dit Stamm.
Très bien  », dit le témoin. Il mit les deux hommes dos à dos, annonça vingt pas, et les duellistes se mirent en marche simultanément. Le front de Williams luisait de transpiration, et son pistolet tremblait, tandis que Stamm aurait tout aussi bien pu être en train de se rendre au cabinet dâaisance, tant il avait lâair nonchalant. à vingt, ils pivotèrent et firent feu. Williams manqua sa cible, mais la balle de Stamm toucha lâavocat en pleine poitrine. Le visage de Williams se métamorphosa de manière grotesque sous lâeffet de la douleur, de la surprise et, pensai-je, dâun certain sentiment de vexation. Vacillant, il arma son pistolet et fit feu sur les spectateurs. Des cris fusèrent  : la balle avait atteint une jeune femme au tibia, et elle était couchée dans la poussière, se tordant de douleur et se tenant la jambe. Jâignore si Williams se rendit compte de sa déplorable erreur  ; lorsque je regardai à nouveau dans sa direction, il gisait mort sur le sol. Stamm se dirigeait vers le saloon, le pistolet rengainé, ses bras à nouveau ballants. Le témoin restait seul et
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