Les Frères Sisters
quel genre de marché il avait passé avec le propriétaire, il mâa répondu en chuchotant que rien nâétait encore conclu, mais quâil avait toutes les raisons de croire que les choses nâaboutiraient pas.
Quand nous avons eu fini de déjeuner, le propriétaire a débarrassé la table, et tiré le rideau. Lâattitude enjouée de Warm a alors changé, et il est devenu tendu et sérieux. Il a pris trente secondes pour organiser ses idées, et finalement me regarder dans les yeux en disant, «
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Je vous ai surveillé, oui, câest vrai. Au début, câétait pour connaître vos faiblesses. Et maintenant je vais vous lâavouer
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: jâai pensé vous tuer, ou vous faire tuer.
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» Lorsque je lui ai demandé pourquoi, il a répondu, «
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Naturellement jâai su, dès la première fois que je vous ai vu, que vous étiez à la solde du Commodore.
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» «
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Le Commodore, ai-je répété évasivement. Qui est-ce donc
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?
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» Il a secoué la tête devant ma flagrante mauvaise foi, et sans y prêter plus dâattention, a poursuivi son discours. «
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Mes sentiments à votre égard ont très vite changé, monsieur Morris, et je vais vous dire pourquoi. Vous nâavez pas une once de malhonnêteté en vous. Par exemple, lorsquâun homme dit bonjour à un autre, il va lui sourire pendant que lâautre lui fait face, mais dès que ce nâest plus le cas, le sourire disparaît de son visage. En fait, son sourire nâétait aucunement sincère. Cet homme est un menteur, voyez-vous
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?
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» «
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Mais tout le monde fait cela, ai-je protesté. Ce nâest que simple courtoisie.
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» «
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Pas vous, mâa-t-il dit. Votre sourire, aussi léger soit-il, reste sur vos lèvres longtemps après que vous avez passé votre chemin. Vous prenez un réel plaisir à échanger avec vos congénères. Je vous ai vu faire à de nombreuses reprises, et je me suis dit, si seulement je pouvais avoir un tel homme à mes côtés, je pourrais mettre en Åuvre toutes mes idées. Jâavais lâintention dâaborder ce sujet précisément lors de ma visite dâhier matin, mais vous vous souviendrez sans doute que je me suis égaré. Franchement, jâétais nerveux à lâidée de me présenter à vous, et jâai pensé quâun petit verre me donnerait du courage.
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» Il a baissé la tête en se souvenant. «
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Eh bien, a-t-il dit, ce matin je me suis réveillé dans mon galetas en proie à une honte terrible. Ce nâétait pas la première fois que cela mâarrivait, mais aujourdâhui cette sensation était absolument paralysante. La honte mâaccablait comme jamais auparavant, et jâespère ne plus connaître de ma vie un tel sentiment. Jâavais lâimpression dâavoir touché un mur, et atteint mon propre seuil dans la haine de soi. Dâaucuns emploieraient le terme de révélation. Appelez ça comme vous voudrez. Mais aujourdâhui, jâai enfin regardé la vérité en face, et jâai fait vÅu de changer de vie, de prendre soin de mon corps, de purifier mon esprit et de partager mes secrets avec vous, car je sais que vous êtes un homme bon, et quâun homme bon est précisément ce dont jâai le plus besoin dans ma vie à lâheure actuelle.
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»
Avant que je ne puisse répondre à ce discours enflammé, Warm a sorti de ses poches plusieurs feuilles volantes chiffonnées, et les a étalées devant moi, en me suppliant dây jeter un coup dâÅil, ce que jâai fait. Il sâagissait, page après page, de listes griffonnées de formules complexes, de chiffres et de calculs scientifiques faisant référence à quelque chose que jâignorais. Finalement jâai dû lui avouer que je nây comprenais rien
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: «
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Je suis désolé, mais je nâai aucune idée de ce que cela signifie
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», ai-je dit. «
Â
Ce sont les fondements dâune découverte qui fera date
Â
», mâa-t-il répondu. «
Â
Et de quelle découverte sâagit-il
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?
Â
» «
Â
Ce sera peut-être lâévénement scientifique le plus important de nos
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