Les Frères Sisters

reculé en souriant devant mon expression d’incrédulité. Rompant le silence, il a déclaré, «
 
Voici ce qui se présente au prospecteur qui cherche de l’or dans une rivière. Nous avons ici le modèle réduit de ce qui a rendu fou la moitié du monde. Le défi principal pour un prospecteur, c’est
 
: comment faire pour atteindre ce qu’il sait être là, sous ses pieds
 
? Les seules réponses à cette question sont
 
: un travail acharné, et une bonne étoile. Le premier est éprouvant, la seconde, aléatoire. Pendant plusieurs années j’ai cherché une troisième méthode, plus sûre et plus simple.
 
» Il a pris la gourde et a dévissé le bouchon. «
 
Dites-moi si j’ai tort, monsieur Morris, mais avec cette solution il me semble bien que je viens enfin de trouver.
 
» Il m’a tendu la gourde et j’ai demandé si j’étais censé en boire le contenu. «
 
Sauf si vous souhaitez mourir dans d’atroces souffrances, je vous conseillerais de ne pas le faire
 
», m’a-t-il dit. «
 
N’est-ce pas un remontant
 
?
 
» «
 
C’est une solution divinatoire
 
», a-t-il dit, et comme sa voix était étrange lorsqu’il a prononcé ces mots, comme elle était mystérieuse et envoûtante
 
; l’émotion lui serrait la gorge, et les battements de son pouls faisaient frémir ses tempes. Inclinant la tête, il a vidé le contenu de la gourde dans la boîte. C’était un liquide nauséabond et violacé, plus épais que l’eau mais qui s’est très vite mélangé à elle, avant de disparaître. Trente longues secondes se sont écoulées tandis que je fixais l’eau sans y déceler la moindre modification. J’ai levé les yeux vers Warm. Il avait les paupières mi-closes, et je me suis dit qu’il avait l’air endormi. Je venais d’ouvrir la bouche pour lui exprimer toute ma sympathie, car son expérience se soldait manifestement par un échec, lorsque j’ai remarqué dans ses yeux un reflet doré de plus en plus lumineux. J’ai reporté mon attention vers la boîte et mon cœur a fait un bond, car là devant moi, je le jure devant Dieu tout-puissant, l’anneau d’or luisait à travers l’épaisse couche de terre noire
 
!
    Je suis resté absolument stupéfait devant cette expérience, et j’ai bafouillé toutes sortes de questions en m’extasiant, ce qui a ravi Warm au plus haut point. Il n’a pas tardé à m’expliquer ce qu’il envisageait de faire avec ce liquide, et voici la teneur de ses révélations
 
: il s’agissait de construire un barrage en vue d’isoler une portion de la rivière, et, à la nuit tombée, d’y verser la solution — naturellement, en plus grande quantité  —, puis, une fois que le liquide se serait bien dilué, de parcourir la rivière et de récolter l’or tranquillement. Le scintillement, m’a-t-il expliqué, ne durait que quelques précieuses minutes, mais ce temps restreint suffisait pour extraire ce qui lui aurait demandé des semaines de travail avec les méthodes traditionnelles. Après avoir prospecté une partie de la rivière, il n’aurait qu’à se déplacer un peu plus loin pour en fouiller une autre, et encore une autre, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il amasse la fortune dont il rêvait
 
; puis il vendrait sa recette secrète pour un million de dollars et passerait le reste de ses jours dans ce qu’il appelait «
 
les bras soyeux du succès
 
». J’étais fortement ébranlé par tout ce que je venais d’entendre. En vérité, c’était l’invention la plus spectaculaire dont j’avais jamais entendu parler. J’ai mis du temps à poser ma dernière question. Je ne voulais pas offenser l’individu, ni briser le sentiment d’exaltation qui régnait dans la pièce, mais la chose demandait à être évoquée, c’est pourquoi j’ai demandé de but en blanc
 
: «
 
Pourquoi partagez-vous tout cela avec moi
 
? Comment pouvez-vous savoir que je ne vous trahirai pas
 
?
 
» «
 
Je vous ai déjà expliqué