Les Frères Sisters
sais pas. Charlie  ?  »
Charlie arpentait lâécurie avec un petit sourire. à en juger par sa gentillesse et sa bonne humeur, il avait bu quelques verres supplémentaires. Quoi quâil en soit, il nâavait pas entendu ma question, et je nâinsistai pas. «  Je pense que nous prendrons le ferry, dis-je.
â Et quand comptez-vous partir  ?
â Demain, dans la matinée.
â Et une fois arrivés, vous pensez dormir dehors  ?
â Oui.  »
Le palefrenier réfléchit. «  Câest trop tôt pour partir  », dit-il.
Je caressai le chanfrein de Tub. «  Il a lâair en bonne forme.
â Je ne dis pas le contraire. Il est costaud, mais si câétait mon cheval, je ne le monterais pas pendant une semaine au moins.  »
Lorsque Charlie revint de ses déambulations, je lui demandai dâautres cacahuètes. Il brandit le sachet en le renversant  : vide. «  Quel est le restaurant le plus cher de la ville  ?  » demanda-t-il au palefrenier, qui, à la question, émit un sifflement tout en se grattant simultanément le front et les parties.
Â
The Golden Pearl était tout simplement drapé dâun épais velours lie-de-vin  ; chaque table était dressée avec un grand candélabre, des assiettes en fine porcelaine de Chine blanches, des serviettes en soie, et de lourds couverts en argent. Notre serveur, un homme impeccable à la peau dâivoire, portait un smoking noir avec des guêtres en soie bleue et, à la boutonnière, une épingle à rubis qui aveuglait tous ceux qui portaient les yeux sur elle. Nous commandâmes des steaks et du vin, précédés dâeau-de-vie, ce qui sembla le ravir au plus haut point. «  Très bien, dit-il en le notant dâun geste élégant dans son carnet relié en cuir.
Très, très
bien.  » Il claqua des doigts et on nous apporta deux verres en cristal. Il sâinclina et se retira, mais jâétais persuadé quâil allait bientôt revenir, pour prendre soin de nous à chaque étape de notre expérience dînatoire, avec une grâce extrême et le plus grand savoir-faire. Charlie avala une gorgée dâeau-de-vie. «  Doux Jésus, que câest bon  !  »
Je trempai mes lèvres dans mon verre. Cela nâavait rien à voir avec les eaux-de-vie que jâavais bues jusquâalors. Câétait à ce point éloigné de ce que je connaissais en matière dâeaux-de-vie que je me demandai sâil ne sâagissait pas tout bonnement dâun autre alcool. Quel que fût le breuvage en question, il me plut grandement et jâen bus sans plus tarder une longue gorgée. Avec autant de nonchalance que possible, je fis, «  Où en sommes-nous par rapport à notre engagement vis-à -vis du Commodore  ?
â Que veux-tu dire  ? demanda-t-il. Nous continuons lâaffaire.
â Même sâil nous a induits en erreur  ?
â Que suggères-tu, Eli  ? Il nây a aucune raison de rompre les liens avec lui tant que nous nâavons pas enquêté sur cette rivière illuminée. Même si nous nâétions pas à sa solde, je voudrais quand même en savoir plus.
â Et si Warm et Morris réussissent  ? Tu envisages de les voler  ?
â Je ne sais pas.
â Si ce nâest pas le cas, jâimagine quâon les tuera.  »
Charlie haussa les épaules avec désinvolture. «  Je ne sais vraiment pas  !  » Le garçon nous apporta nos steaks  ; Charlie en avala une bouchée et grogna dâaise. Je lâimitai, mais mon esprit était préoccupé par autre chose. Je me décidai à aborder le sujet tant que Charlie était de bonne humeur, et lançai, «  Si nous ne parlions à personne du journal de Morris, nous pourrions rentrer à Oregon City sans que quiconque nây trouve à redire.  »
à ces mots, Charlie avala et toute la joie qui rayonnait sur son visage sâeffaça dâun coup. «  Mais de quoi diable parles-tu  ? demanda-t-il. Veux-tu me le dire  ? Et pour commencer, que dirions-nous au Commodore à notre retour  ?
â Nous lui dirions la vérité  : que Morris est parti avec Warm,
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