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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick deWitt
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demandai-je.
    â€” Il a bien dormi. Je ne suis pas sûr que vous puissiez le monter, mais il va beaucoup mieux que ce que je pouvais imaginer.   » Il me tendit un flacon d’alcool. «   Deux fois par jour, dit-il. Matin et soir jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus. Assurez-vous de l’attacher à quelque chose quand vous le désinfecterez. Imbibez bien et prenez vos jambes à votre cou, si vous voulez mon avis.
    â€” Vous l’avez désinfecté aujourd’hui   ?
    â€” Non, et je n’ai pas l’intention de le faire. Je l’ai fait une fois pour vous montrer, mais à partir de maintenant, c’est à vous.   »
    Voulant mettre cela derrière moi, je débouchai le flacon et fis un pas vers Tub, mais le palefrenier m’interrompit   : «   Je préférerais que vous l’emmeniez dehors. Je viens juste de finir de réparer le trou, et je n’ai aucune envie qu’il en fasse un autre.   » Il pointa un doigt et j’observai le déplorable travail de rafistolage qu’il avait effectué avec des bouts de bois sur la cloison de la stalle. J’emmenai Tub dehors et accrochai son licol à une barre d’attache. Le sang avait coagulé dans l’orbite et du pus suintait autour. Sans l’œil à l’intérieur, la paupière s’affaissait au centre. Je versai une bonne dose d’alcool et m’éloignai d’un bond. «   Hiiiii   », fit Tub en bottant, se cabrant, pissant et chiant. «   Excuse-moi, dis-je. Vraiment, Tub, excuse-moi. Je suis désolé.   » Il se calma et j’allai prendre ma selle dans l’écurie. Charlie amena Nimble dehors et se plaça près de Tub et moi.
    Â«   Prêt   ?   » dit-il.
    Sans répondre, je grimpai sur Tub. Son dos et ses jambes semblaient moins solides qu’avant, et ses muscles émoussés par la fatigue   ; il était également perturbé par son champ de vision rétréci de moitié, et il n’avait de cesse que de tourner la tête vers la gauche pour voir de l’œil droit. Je le fis reculer sur la route et il se mit à marcher en rond. «   Il prend ses marques, dis-je.
    â€” Tu ne devrais pas le monter si vite, dit Charlie en se hissant en selle. Il a besoin de repos, c’est évident.   »
    Je tirai fermement sur les rênes et Tub cessa son manège. «   Arrête de nous faire croire que tu te soucies de lui tout à coup.
    â€” Je me fiche éperdument du cheval. Je parle de ce qui importe pour pouvoir aller au bout de notre affaire.
    â€” Mais oui   ! Bien sûr   ! Notre affaire   ! J’avais presque oublié   ! Notre raison d’être   ! Parlons-en encore   ! Jamais je ne m’en lasserai   !   »
    Je me rendis compte que ma lèvre tremblait   ; je me sentais si profondément blessé ce matin-là, à voir mon frère sur sa belle monture, sachant qu’il ne m’aimait pas comme je l’avais toujours aimé et admiré   ; la lèvre tremblante, je me mis soudain à hurler tant et si bien que les passants s’arrêtèrent et y allèrent de leurs commentaires.
    Â«   L’affaire   ! Oui   ! Notre affaire   ! Naturellement, c’est à ça que tu pensais   !   »
    Le mépris envahit les yeux de Charlie et la honte s’empara de moi telle une fièvre. Sans un mot, il se tourna et s’éloigna en se frayant un chemin dans les rues bondées, pour bientôt disparaître derrière la bâche d’un chariot. Je m’efforçai de le retrouver dans la foule, mais Tub ne cessait de tourner la tête et de marcher de travers   ; je lui donnai un grand coup de talon, la douleur le remit dans le droit chemin, et il accéléra l’allure   ; mais il respirait difficilement, et ma honte redoubla. Je n’avais qu’une envie, c’était de tout quitter, de m’arrêter et de laisser tomber Tub, et notre affaire, et Charlie, et de retourner à Mayfield avec un nouveau cheval pour récupérer mon magot et me construire une nouvelle vie avec la comptable au teint diaphane, ou sans elle, du moment que tout était paisible et facile et complètement différent de ce que je vivais à l’heure actuelle. Tel était mon rêve, et il

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