Les Frères Sisters
peut-être mâêtre utile.  »
Le palefrenier rassembla les instruments pour lâopération et les disposa sur une couverture quâil avait étalée à côté de Tub. Il apporta un bol en céramique rempli dâeau et de laudanum  ; tandis que Tub buvait, le palefrenier me demanda de venir près de lui. Comme pour me confier un secret, il me chuchota, «  Quand ses jambes commencent à flageoler, poussez avec moi. Ce quâil faudrait, câest quâil tombe directement sur la couverture, compris  ?  » Je hochai la tête et nous restâmes là à attendre que la drogue fasse son effet. Cela ne fut pas long, à tel point que nous fûmes surpris  : la tête de Tub sâaffaissa et se mit à dodeliner, et il trébucha lourdement, nous plaquant, le palefrenier et moi, contre les lattes de la stalle. Sous le poids de lâanimal, le palefrenier paniqua  : il avait le visage cramoisi et écarquillait les yeux en le repoussant avec force jurons. Il craignait pour sa vie, et je me mis à rire en le voyant gigoter sans la moindre dignité, pareil à une mouche dans du miel. Le palefrenier se sentit humilié et ma jovialité le mit en colère  ; il gesticula de plus belle. Craignant que lâhomme ne sâévanouisse ou ne se blesse, je donnai une grande claque sur la croupe de Tub, qui tressaillit et se dressa. Lâhomme cria, «  Poussez, que diable, poussez  !  » Ravalant mes rires, je pesai de tout mon poids sur le ventre et les côtes de Tub. Entre mes efforts, ceux du palefrenier, et les tentatives maladroites de Tub pour se remettre sur pied, nous parvînmes à le pousser au bout de sa stalle dont les lattes se brisèrent sous son poids. Le palefrenier me saisit par le bras et mâécarta juste au moment où Tub, après avoir rebondi contre le mur, retombait par terre, sa tête parfaitement placée sur la couverture, inconscient. Luisant de sueur et haletant, le palefrenier me jeta un regard plein de mépris, les poings appuyés sur ses hanches. «  Puis-je vous demander, monsieur, ce qui vous rend si joyeux  ?  » Il était tellement hors de lui, debout devant moi, quâil me fallut un effort supplémentaire pour ne pas éclater de rire derechef. Jây parvins, mais à grand-peine. Penaud, je répondis, «  Je regrette. Il y avait vraiment quelque chose de drôle là -dedans.
â Vous trouvez cela divertissant, de manquer se faire tuer par un cheval  ?
â Je regrette dâavoir ri  », répétai-je. Pour changer de sujet, je désignai Tub du doigt et dis, «  De toute façon, on a tapé dans le mille. Il est tombé sur la couverture.  »
Il secoua la tête et grogna sourdement en se raclant la gorge. «  Sauf pour un détail. Il est allongé du mauvais côté  ! Comment est-ce que je vais pouvoir accéder à son Åil maintenant  ?  » Il cracha par terre et observa ses glaires. Un long moment. à quoi pensait-il  ? Je décidai de regagner la confiance du palefrenier, par égard pour Tub, car je nâaimais pas lâidée de voir le vieil homme entreprendre une opération délicate sous lâemprise de la colère.
Il y avait plusieurs longueurs de corde accrochées sur le mur au fond de lâécurie. Je les pris et attachai les pieds de Tub, afin de pouvoir le retourner. Le palefrenier savait pertinemment ce que jâétais en train de faire, mais au lieu de mâaider, il se contenta de rouler une cigarette. Il le fit avec le plus grand sérieux, comme si cette tâche monopolisait toute sa concentration. Durant les cinq minutes quâil me fallut pour attacher les pieds de Tub, le palefrenier et moi-même nâéchangeâmes pas un mot, et il commençait à mâénerver, car je trouvais exagérée son humeur massacrante, lorsquâil sâapprocha avec une deuxième cigarette, quâil avait roulée pour moi. «  Ãvitez sâil vous plaît de faire tomber la cendre dans la paille.  » Au-dessus de la stalle, une poulie était suspendue, dans laquelle nous passâmes les deux cordes, lâune par-dessus lâautre. à nous deux, nous retournâmes Tub sans difficulté en tirant sur les cordes. Après avoir Åuvré et
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