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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick deWitt
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lorsque je le vis se détendre et défroncer les sourcils   : il avait pitié de moi, pauvre malheureux que j’étais. Il poursuivit   : «   Demain matin nous partirons à la recherche de Warm et de Morris. Finissons le boulot et nous verrons après où nous en serons.   » Après quoi, tournant les talons, il sortit du restaurant. Le serveur élégant apparut à mes côtés, soufflant bruyamment tandis que je me levais, car mon assiette était presque intacte, et il se sentait insulté qu’une nourriture si délicate finisse à la poubelle. «   Monsieur   ! m’interpella-t-il, sur un ton pétri d’indignation. Monsieur   ! Monsieur   !   » Je l’ignorai, et m’engouffrai dans la folle nuit de San Francisco   : des lanternes qui se balançaient à l’arrière des charrettes qui passaient   ; d’incessants coups de fouets   ; l’odeur du fumier et de l’huile brûlée   ; et une constante cacophonie.
    Je regagnai la chambre pour dormir et ne revis Charlie que le matin venu, lorsque, me réveillant, je le trouvai habillé, lavé, rasé de près, le teint frais   ; il était en forme et fringant, et je songeai avec espoir que ce changement de tempérament était dû d’une façon ou d’une autre à notre dispute de la veille, qu’il avait choisi de rester relativement sobre et de se lever de bonne heure afin que les choses se passent mieux pour moi et que nous envisagions de travailler dans le souci d’une plus grande éthique. Mais j’aperçus les crosses de ses pistolets, qui reluisaient dans leurs étuis   : il les avait briquées, comme il le faisait toujours avant de mener à bien une mission. S’il avait décidé de passer une nuit tranquille sans trop boire, ce n’était pas pour me faire plaisir mais pour être en pleine possession de ses moyens lors du meurtre probable de Warm et de Morris. Je me levai et m’assis à la table en face de lui. Je n’arrivais pas à le regarder en face, et il lança, «   Ça ne va pas aller, si tu fais la tête comme ça.
    â€” Je ne fais pas la tête.
    â€” Si. Tu pourras t’y remettre dès que notre affaire sera terminée, mais dans l’immédiat il va falloir que tu la mettes en veilleuse.
    â€” Mais je te dis que je ne fais pas la tête.
    â€” Tu n’es même pas capable de me regarder.   »
    Je levai les yeux. Et à le voir, rien ne paraissait le gêner, il avait l’air complètement à l’aise. J’imaginai ce qu’il voyait en me regardant   : cheveux en bataille, ventre bedonnant moulé dans un maillot sale, yeux rouges pleins de douleur et de défiance. Soudain, la vérité me frappa de plein fouet   : je n’étais pas un tueur efficace. Je ne l’étais pas, ne l’avais jamais été, et ne le serais jamais. Charlie avait tout simplement su mettre à profit mon tempérament colérique   ; il m’avait manipulé, exploitant ma personnalité à la manière d’un homme qui excite un coq avant un combat. Je pensai, Combien de fois ai-je tiré sur un inconnu, le cœur indigné pour la seule et unique raison que ce dernier faisait feu sur Charlie et que mon être tout entier exigeait que je protège ma chair et mon sang   ? Et j’avais dit que Rex était un chien   ? Charlie et le Commodore m’avaient tous deux contraint à me livrer à des actes qui me mèneraient en enfer. Je les imaginai dans le salon du grand homme, dans un nuage de fumée, en train de se gausser de moi tandis que j’attendais dehors, sous la pluie, dans le froid et le vent, sur mon cheval ridicule. Cela avait effectivement eu lieu   ; je le savais. Cela s’était produit et continuerait à se produire aussi longtemps que je le permettrais.
    Je dis, «   C’est ma dernière affaire, Charlie.   »
    Il répondit sans flancher, «   Comme tu veux, mon frère.   »
    Et pendant le reste de la matinée que nous passâmes dans cette chambre à rassembler nos affaires et à nous préparer au départ, nous n’échangeâmes plus un seul mot.

 
    Le palefrenier vint à ma rencontre à la porte de l’écurie.
    Â«   Comment va-t-il   ?

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