Les Frères Sisters
dâentre nous ont tout simplement plus faim que dâautres, et quâest-ce quâon peut y faire  ? Se laisser mourir de faim  ?
â Warm  ! mâexclamai-je. Vous êtes ivre. Et nous devons parler sérieusement avec vous. Vous pensez que vous en êtes capable  ? Ou peut-être que Morris y arrivera  ?  »
Il dit, «  De quoi voulez-vous parler  ?
â De ce dont nous avons déjà parlé. De rassembler nos forces et de prospecter la rivière ensemble.  »
Charlie se pencha et me pinça avec force. «  Quâest-ce que tu fais  ? chuchota-t-il.
â Ãa change la donne, dâavoir tué les frères, lui répondis-je.
â Je ne vois pas ce que ça change. Ils sont toujours là , à nous attendre dans le noir avec leurs pistolets, prêts à nous tirer dessus.
â Laisse-moi juste voir leur réaction. Je suis convaincu quâon peut arriver à nos fins sans verser encore du sang.  »
Charlie sâassit contre un arbre et réfléchit en se mordillant les lèvres. Dans la pénombre, il me fit signe de continuer à parler, et jâobtempérai  : «  Si vous nâacceptez pas de discuter avec nous, vous allez nous obliger à passer à lâacte, Warm. Je vous le dis en toute honnêteté, nous nâavons aucune intention de vous tuer, ni lâun ni lâautre.  »
Warm eut un rire moqueur. «  Câest ça, on devrait partager nos bénéfices avec vous, et si on nâest pas dâaccord, vous serez obligés de nous tuer. Vous imaginez bien que de notre point de vue cette proposition nâa pas grand intérêt.  »
Je dis, «  Je vous propose que nous
gagnions
notre part des bénéfices. Et de toute façon, si nous souhaitions votre mort, pensez-vous que nous aurions descendu ces hommes que vous voyez là devant vous  ?  »
Morris dit quelque chose que je ne pus entendre, que Warm me transmit  : «  Morris dit que câest lui qui a eu celui de gauche.
â Il se trompe.  »
Warm garda le silence pendant un moment. Je ne lâentendais pas non plus parler avec Morris.
«  Est-ce que lâun dâentre vous est blessé  ? demandai-je.
â Morris a le bras éraflé. Ãa va, mais ça le brûle.  »
Je dis, «  Nous avons un remède qui soulagera cette sensation de brûlure. Et nous avons de lâalcool pour désinfecter la blessure. Nous travaillerons dans la rivière avec vous, et nous vous protégerons des brigands et des importuns. Pensez-y, Warm. On vous tenait au bout de notre gâchette tout à lâheure  ; si nous avions voulu vous tuer, vous seriez morts.  »
Un autre long silence sâécoula sans que le moindre murmure ne me parvienne en provenance de Morris ou de Warm. Ãtaient-ils en train de faire leur examen de conscience pour pouvoir me répondre  ? Allaient-ils permettre aux frères Sisters jusquâalors assoiffés de sang de se joindre à eux  ? Puis un bruit se fit entendre  ; je ne pus de prime abord lâidentifier, mais lorsque jây parvins je ne voulus pas y croire, tant un tel son paraissait incongru dans la présente situation  : Hermann Warm sifflait. Je ne connaissais pas la mélodie, mais câétait le genre dâair que jâai toujours apprécié, lent et larmoyant, avec des paroles qui parlaient sans doute de trépas et de cÅurs brisés. Le sifflement sâintensifia lorsque Warm quitta sa cachette et marcha à découvert, traversant le barrage des castors jusquâau plat herbeux de son campement. Il sifflait avec talent, et la mélodie dégringolait dans les graves et sâenvolait dans les aigus, vibrant dans lâair pour disparaître dans le silence de la rivière. Il siffla sans discontinuer, et Charlie se leva en silence et commença à descendre la colline. Ni lui ni moi ne savions ce que nous allions faire. Warm ne savait pas ce que nous allions faire, et Morris non plus. Nous nâavions pas décidé ce que nous allions faire. Mais je me surpris moi aussi à descendre, sans chercher à me dissimuler. Warm nous faisait face à présent, et nous examinait tandis que nous descendions la pente  ; lâair quâil sifflait était
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