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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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volée, ses processions et ses actions de grâces. Le sel était le sel de leurs journées. Ils le regardaient tomber, par la fenêtre, déguisé en neige. Ils l’observaient couvrant la plaine d’une blancheur de sépulcre, étouffant les bruits et les couleurs, s’adonnant avec la complicité du vent à des danses macabres, des danses de sabbat, qui l’emportaient en des tourbillons prodigieux et le disloquaient en des lanières phosphorescentes qui montaient jusqu’au ciel. Ils s’inquiétaient de sa progression, de sa capacité à étouffer toute chose, les étangs, les forêts, les mouvements des hommes, jusqu’à leurs baisers et leurs caresses qui devenaient rares. Le sel les obsédait. La nuit, Delphine en retrouvait le goût jusque sur la peau de Guillaume. Elle avait beau calfeutrer les portes et les fenêtres, il lui semblait qu’à chaque respiration, qu’à chaque soupir, elle en avalait toujours un peu plus et qu’en son ventre, au fin fond de ses entrailles, le sel s’entassait, brûlant, incandescent, recouvrant sa matrice d’une couche vitreuse et porteuse de mort.
    Un matin, un homme à cape rouge vint remettre un pli au jeune procureur. Il était de M. de Chabas.
    — M. le conseiller comptait bien s’entretenir directement avec vous, dit le messager. Mais il a été pris cette nuit d’un violent accès de fièvre et il n’est pas en état de se déplacer.
    Delphine descendait les marches de l’escalier, tenant des deux mains sa jupe que le courant d’air gonflait. Le cavalier absorbait toute la lumière du jour par la porte entrebâillée et une brume violette glissait entre ses pieds, coulait sur les dalles de marbre, se lovait entre les colonnes, s’en allait se tapir dans les recoins et les angles morts. Le vestibule du château était glacial, malgré un reste de braise sous les cendres des cheminées. Guillaume l’attendait. Son visage rayonnait d’une étrange lueur, avec des flambées de perle et de turquoise. Delphine tremblait et quelque chose, à nouveau, se noua dans son ventre.
    — On m’appelle, dit-il. C’est une lettre qui porte le cachet du roi.
    Elle le regarda droit dans les yeux, sans répondre. Le faible jour qui passait par la porte promenait sur lui ses reflets, faisait naître et s’éteindre des ombres coupantes. Il gardait les sourcils froncés, l’oeil éteint, légèrement ennuyé. Elle savait qu’au fond de lui il jubilait.
    — M. de Chabas dont la santé s’altère me demande officiellement mon aide pour travailler à son côté à la mission que Sa Majesté lui a confiée. C’est encore le meilleur moyen de résoudre le meurtre de Mme de Saintonges. Je vais devoir m’absenter quelques jours.
    — Quelques jours… Mais c’est impossible. Nous serons bientôt le deux du mois et…
    — Le deux du mois ? Que voulez-vous dire ?
    — … Restez, je vous en supplie !
    — Delphine, voyons, je ne peux refuser. Vous le savez. Il m’attend.
    Dehors la neige tombait. L’horizon n’était que sel et poudre. Les forêts grelottaient. Les champs frémissaient sous l’argent et le plomb. Elle acquiesça. Il lui sourit et elle eut une envie folle de le pousser dehors, là, maintenant. De le chasser à grands coups de bâton.

CHAPITRE V
    1.
    La salle à manger de l’auberge ne comportait que de maigres fenêtres et Guillaume avait quelque mal à supporter son atmosphère confinée et nauséabonde entretenue par les chandelles de suif accrochées aux murs. De la sciure sale jonchait le sol mal raboté. Des paysans, entrés pour boire le coup, s’endormaient, le pichet de vin en main, sur une chaise, le nez contre le mur. Un gros poêle ronflait, chargé de bois. De temps en temps, le patron venait y fourgonner avec un gros tisonnier de fer et des étincelles bleues éclaboussaient la pièce. Les figures des buveurs congestionnées par la fumée des pipes et polies par le vent prenaient des teintes violacées et se laquaient de reflets pourpres avant de retomber dans l’ombre.
    Guillaume rehaussa la chandelle qu’on venait de lui apporter et lut à nouveau la lettre de M. de Chabas. Le conseiller du Roi, qui se disait très malade mais déterminé plus que jamais à mener jusqu’au bout sa mission, lui donnait bien rendez-vous à cette auberge du Cochon rouge, près des quais, non loin de la cathédrale Saint-Étienne, où une chambre lui avait été réservée. Mais le lieu était fort étrange, peu accueillant, fréquenté par des
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