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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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cour.
    Delphine n’osait pas respirer. Les objets étaient chargés d’âme, immobiles et vivants à la fois. Des mains les avaient caressés, des doigts les avaient usés. Elle devinait Mme de Saintonges au froissement des étoffes, à l’usure des accoudoirs, au jeté des tissus, à la patine des meubles. Ces robes avaient flatté toujours la même taille, ces livres avaient été ouverts et feuilletés par la même main, ce miroir avait chaque matin réfléchi le même visage. Il lui semblait que la morte était là, dans ce mouvement de tenture, dans ce craquement de parquet, dans cette silhouette soudaine, furtive, qui surgissait à l’angle d’une vitre ou dans une glace oubliée sur la coiffeuse ou la table de nuit. « Madame, pensa Delphine, si vous êtes avec nous, il vous suffit de me souffler quelques mots dans l’oreille, de me prendre la main, de me guider là où vous le souhaitez. »
    Que cherchait-elle ? Delphine ne le savait pas. Un signe, c’était cela, un indice pour la guider. Mais comment choisir entre ces bibelots, ces toiles miniatures, ces pots, ces poudres et ces onguents posés sur la coiffeuse, ces boîtes à épices décorées d’oiseaux et de fleurs ? Elle leva le rabat du coffre et une odeur d’iris et de violettes embauma la pièce d’une bouffée tiède qui mit longtemps à se dissiper. Ses doigts caressaient sans les prendre quantité d’objets : un chapeau à rubans accroché à l’espagnolette d’une fenêtre, un éventail en toile de Hollande, un jeu de brosses à cheveux en argent, des gants de peau parfumée, des mouchoirs de col en fine dentelle.
    — Avait-elle des ennemis ? demanda-t-elle à Marivette. S’est-elle disputée avec quelqu’un ?
    — Non, madame.
    — L’aviez-vous sentie inquiète ces derniers temps, nerveuse ?
    — Non, je suis désolée.
    Et puis Delphine se figea devant un petit tableau accroché au mur, orné d’un cadre en bois de rose. C’était une aquarelle, fouettée de couleurs douces, un peu passées, où dominaient le blanc coquille, le jaune paille et le vert d’artichaut : quatre jeunes filles en longue robe, coiffées d’une même couronne de fleurs, les reins ceints d’une cordelette toute simple, priaient devant une statue de la Vierge. L’artiste les avait croquées dans une curieuse attitude, les mains jointes, les genoux en terre mais, oubliant Marie, les demoiselles se souriaient l’une l’autre, avec des regards en coin. Delphine retourna le cadre. Quatre prénoms étaient écrits à l’encre bleue : Ninon, Marguerite, Anne, Marie-Joséphine.
    — Laquelle est Mme de Saintonges ? demanda-t-elle à Marivette.
    La femme de chambre n’hésita pas et posa son doigt sous l’une des silhouettes.
    — Connaissez-vous les autres ?
    — Non, je suis vraiment désolée.
    Elle aperçut une bible abîmée, revêtue d’un cuir couleur de cigare, reposant sur la table de nuit. Machinalement, elle chercha le passage de la Genèse, l’histoire de la femme de Lot. Plusieurs phrases y avaient été soulignées au crayon, celles qui relataient l’intervention des anges. Quelques mots avaient été griffonnés en marge, si petits qu’elle eut du mal à les déchiffrer : « … le dire à Marguerite. » Était-ce la Marguerite de l’aquarelle ?
    — Mme de Saintonges gardait-elle sa correspondance ?
    Marivette écarquilla les yeux et porta la main à sa bouche comme si elle venait d’apercevoir le diable. Elle regarda Jeannette puis de nouveau Delphine. Ses yeux étaient remplis de larmes.
    — Vous n’allez tout de même pas… ?
    — Croyez-vous qu’elle eût hésité pour démasquer son assassin ?
    La femme de chambre, en tremblant, ouvrit l’armoire en palissandre, sortit une boîte à chapeau, en ôta le couvercle. De petits paquets de lettres y avaient été rangés avec soin. Delphine n’hésita pas. Elle renversa le tout sur le lit, tira les rubans qui fermaient les paquets, lut, une à une, les adresses inscrites sur les plis. Elle ne tarda pas à trouver celle qu’elle cherchait : Marguerite des Espains, château de Villemestre, sur la route de Beaune.

CHAPITRE VI
    1.
    Le prisonnier de la cellule voisine tapa de nouveau contre les barreaux avec sa cuillère de bois pour attirer l’attention de Guillaume. C’était une sorte de Christ sale, les yeux fixes et ronds, les cheveux et la barbe peignés à grandes lignes charbonnées. Son corps, d’une extrême minceur, flottait dans
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