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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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bottes mortelles auxquels son bras avait renoncé.
    L’écrivain du 5 e  bureau ne répondit pas. Il cligna des yeux sans reflet que ses longues paupières noyaient d’une ombre bleue.
    — Il est sur La Renommée , m’avez-vous dit ? Prêt à embarquer ?
    — Oui, monsieur. Dois-je le faire arrêter ? Des cellules sont prêtes au château d’If et à Saint-Nicolas.
    — Non, non.
    L’intendant général avait saisi la serviette qu’un laquais lui avait présentée et il s’essuyait le visage. Au cas où Delphine lui reviendrait, il ne voulait rien ordonner d’irrémédiable, rien qu’elle pût lui reprocher. Et le successeur de M. de Chabas ne manquerait pas de se renseigner sur ce qu’il était advenu du procureur. Il fallait rester au-dessus de tout soupçon.
    — Arrangez-vous, dit-il, pour que nul n’ignore qu’il est un de nos informateurs. Faites courir le bruit qu’il est ici pour livrer le nom de l’Orfèvre. Certaines places restent à pourvoir sur les bancs de La Renommée  ?
    — Oui, monsieur.
    — Alors, n’intervenez pas. Laissez les choses venir à vous. Quand l’Orfèvre saura que M. de Lautaret est un mouchard, il saura l’entourer et régler l’affaire à sa façon.
    — C’est le condamner à une mort certaine.
    M. de Montmor plongea ses deux mains dans la bassine d’eau qu’on lui tendait et s’aspergea le visage.
    — Le monde des galères est cruel, dit-il. Et les courses en mer souvent coûteuses en vies. Qui songera à nous en faire reproche ?

CHAPITRE XIII
    1.
    Il n’y avait plus que le bruit des rames dans l’eau et l’argousin qui hurlait les ordres, le dos courbé, un poing sur la hanche, l’autre à la bouche en guise de porte-voix. On leur avait à chacun passé autour du cou un bâillon de liège et ordonné de tenir celui-ci entre les dents, pour les empêcher de parler ou de geindre, afin qu’on entendît mieux les commandements tout le temps de la manoeuvre de sortie du port. Han ! han ! Ils retiraient les rames d’un même mouvement et, à l’endroit précis où les bois avaient crevé l’eau, s’élargissaient des ronds d’une lumière pâle, gras comme des flaques d’huile. La « palamente », l’ensemble des avirons, luisait, gouttait, tournait dans l’air et s’enfonçait plus loin.
    La Renommée rampait à la force de ses cinquante-deux pattes. Elle courait, cloporte magnifique, sur les eaux vertes du Lacydon. Elle était enfin partie, route ouest-sud-ouest : en compagnie de trois autres galères, La Perle , La Superbe et L’Ambitieuse , sous le commandement général du comte de Roanès, avec pour mission de surveiller le littoral languedocien et d’empêcher un contact éventuel entre les camisards et un mystérieux convoi anglo-hollandais qui, à en croire les informateurs du roi, venait de franchir le détroit de Gibraltar. Il s’agissait aussi, autant que faire se pouvait, de nettoyer les côtes des corsaires de Majorque et des pirates barbaresques venus du Maghreb et de l’Adriatique.
    Guillaume se concentrait, s’efforçant de se remémorer les conseils de Lapardula, de se couler dans les gestes de Mustapha. Manier la rame était encore plus dur qu’il ne l’avait imaginé. L’effort était continu, concentré sur les jambes et les bras, éprouvant pour les muscles, redoutable pour les jointures. Aux chevilles, sa chaîne de trois pieds lui cisaillait la chair. Le comite et les argousins n’avaient pas été avares de cris, d’injures et de coups pour que tout fût parfait, car l’honneur du capitaine était engagé devant la foule des curieux massée sur le quai.
    « Est-ce possible, se demandait Guillaume en souffrant, que tant d’hommes puissent tenir dans un espace aussi confiné pendant plusieurs semaines ? » La galère n’était qu’un bateau long, de bord bas, ne possédant en guise de pont qu’un tillac en dos d’âne pour l’écoulement des eaux et des excréments. Aux deux cent soixante rameurs qui se répartissaient en deux rangées de vingt-six bancs placées en arêtes de poisson, à la dizaine de gardes-chiourme qui faisaient les cent pas sur l’allée centrale, la coursie, le fouet à la main et l’invective à la bouche, il fallait ajouter les quatre-vingt-dix soldats en poste sur le couroir, étroit chemin de ronde élevé à droite et à gauche au-dessus du tillac, protégé de la chiourme par un écran de planches décoré d’une pavesade rouge, la trentaine de mariniers

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