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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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de rames et de matelots qui se pressaient sur la conille, plate-forme supportant l’artillerie et les ancres, la quarantaine d’hommes de maistrance répartis sur la rambarde à la proue et un peu partout sur le bâtiment, enfin, le capitaine et son état-major – un lieutenant, un sous-lieutenant, deux enseignes, accompagnés de l’aumônier, de l’écrivain et du maître chirurgien – qu’on apercevait à la poupe, en grand uniforme, abrités sous une tonnelle ajourée, recouverte de draperies et de tendelets de soie, de velours et de brocart.
    Ils avaient lentement glissé sur le miroir du port où se reflétaient à l’immobile l’hôtel de ville, la butte antique, les créneaux de Saint-Victor, les forts Saint-Jean et Saint-Nicolas, et ils avaient eu l’impression de découper les images d’un livre d’histoire. Le feu du ciel vernissait les couleurs sur leur passage, faisait resplendir la rouille des hangars chancelants de barriques et de tonneaux, la mousse verte des plans inclinés où se bousculaient les barques pointues, le marron clair des môles de terre d’où les minots s’amusaient à leur jeter des pierres. Ils avaient dépassé le promontoire de la Tête de More, plateau rocheux sur lequel ne poussaient que des joncs et des herbes marines, l’anse de la Fontaine et la butte du « Farot ». Ils avaient laissé à leur droite les îles blanches, marmoréennes, « Rotonau » et Saint-Jean, où s’ennuyaient quelques navires en quarantaine, l’îlot du château d’If, prison du roi. À leur gauche, perdus au milieu des roches déchirées, des collines pierreuses, la crique Saint-Lambert, les bâtiments de l’ancien Lazaret, le vallon des Innocents et le port de « Doume ». Ils s’engagèrent résolument dans la baie bleue, barbelée d’îles, arrosée d’un soleil percé, pissant sa lumière par tous les trous, et salué, sur les terrasses, sur les collines, sur les roches brûlantes des calanques par le tam-tam des insectes et le violon de la brise marine. Maintenant, devant eux, c’était la Méditerranée, violente et lumineuse, brossée d’écailles grises, et son horizon noyé de violet et d’opale.
    Les mains soudées aux manilles, la face tournée vers la poupe, la chiourme faisait corps avec la palamente et l’animait d’un va-et-vient monotone. Toujours ces trois temps démoniaques, l’élévation au-dessus du banc, la poussée de la rame vers la poupe avec ce pas en avant et la retombée sur le banc en se renversant vers la proue, les bras tendus. Mais le temps était au beau, sans beaucoup de vent, et la route était longue. Les galères et les navires marchands qui devaient les accompagner jusqu’à Sète, gavés de marchandises et de vivres, peinaient à avancer. Contrucci, comme les autres capitaines, mit la « vogue à quartier », vogue alternée qui ménageait à tour de rôle la moitié de la chiourme. Guillaume put souffler.
    Il en profita pour observer ses nouveaux compagnons. Ils étaient trois à être montés à bord, quelques heures avant le départ, pour remplir les derniers trous sur les bancs. Le capitaine Contrucci avait accepté sans ciller ces trois galériens qu’on lui imposait, d’une part, parce qu’il n’avait pas le choix et, d’autre part, parce qu’ils semblaient robustes et durs au mal. L’un d’eux était Chibouk, un Turc de la galère réale, que tout le monde craignait à l’arsenal. Celui qui avait remplacé Lapardula était un gros trapu, une belle bête avec un torse de gorille, des mains à assommer un âne d’un seul coup de poing, une peau aussi rouge que celle de Mustapha était noire. Les deux forçats s’étaient échangé quelques mots dans un arabe guttural et le vogue-avant avait baissé la tête en fuyant le regard de Guillaume.
    Le nouveau tiercerol ne fit pas de difficulté pour se présenter.
    — Nicolas Lassère.
    Guillaume sursauta. Ce nom, il le connaissait. C’était celui de l’homme qu’il avait identifié, à partir des registres de l’écrivain du 5 e  bureau. Celui qui, comme Fouchard, le galérien qu’il avait tué lors de l’attaque contre Mme de Saintonges, était un Auvergnat, condamné pour faux saunage et attaché, d’ordinaire, à la galère La Merveilleuse .
    — Tu n’es pas là par hasard, n’est-ce pas ? demanda Guillaume.
    — Bien deviné, l’ami. C’est l’Orfèvre qui nous envoie, moi et mes deux compagnons.
    — Je voudrais lui parler.
    L’Auvergnat

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