Les grandes dames de la Renaissance
nuit…
Brusquement, cette veuve austère, qui portait des vêtements de deuil depuis six ans et posait les yeux sur les hommes sans avoir jamais d’arrière-pensées, fut troublée et, nous dit un chroniqueur, « se sentit grande chaleur et fortes démangeaisons au corbillon, ainsi que grande envie de se faire mignoter le tétin [124] »…
Ce qui la mit en d’heureuses dispositions pour reprendre le dialogue sur de nouvelles bases. Habilement, au milieu de cette Cour préoccupée de ses intrigues et de ses fêtes, elle se rapprocha du dauphin, le considéra avec un intérêt sans cesse accru et acheva de l’affoler en se montrant à la fois coquette et maternelle, provocante et affectueuse…
Le pauvre garçon, qui n’était déjà pas ce que l’on appelle un bon vivant, perdit le sommeil, le boire et le manger. Triste et mélancolique, il vivait les yeux fixés sur Diane.
Il avait dix-neuf ans ; elle en avait près de quarante. Mais son éclatante beauté dépassait celle de toutes les jeunes filles de la Cour. À une époque où les femmes étaient vieilles à trente ans, une telle fraîcheur paraissait étonnante, voire insolite, et l’on prétendait qu’elle usait de philtres. Or son secret était simple : levée à six heures chaque matin, elle prenait un bain d’eau froide, puis montait à cheval et faisait une promenade dans la campagne, jusqu’à huit heures. Ensuite, elle rentrait se coucher, prenait un petit déjeuner léger et, jusqu’à midi, lisait au lit. Les poudres et les pommades lui étaient inconnues, et elle dédaignait même le fard, qui eût terni sa fraîcheur.
Toute la Cour – sauf M me d’Étampes, bien entendu – était d’accord pour la trouver adorablement belle. On copiait sa démarche, ses gestes, ses coiffures. Elle servit, d’ailleurs, à établir les canons de la beauté, dont toutes les femmes, pendant cent ans, cherchèrent furieusement à se rapprocher :
Trois choses blanches : la peau, les dents, les mains.
Trois noires : les yeux, les sourcils, les paupières.
Trois rouges : les lèvres, les joues, les ongles.
Trois longues : le corps, les cheveux, les mains.
Trois courtes : les dents, les oreilles, les pieds.
Trois étroites : la bouche, la taille, l’entrée du pied.
Trois grosses : les bras, les cuisses, le gros de la jambe.
Trois petites : le tétin, le nez, la tête.
Un jour qu’elle était légèrement souffrante, Diane reçut une lettre passionnée du dauphin :
Madame,
Je vous supplye de me mander de votre santé, afin que, selon cela, je me gouverne. Car si vous contynuyez à vous trouver mal, je ne vouldrois faillir vous aller trouver pour vous faire servyce, selon que j’y suis tenu, et aussi qu’il ne me seroit possible de vivre si longtemps sans vous voir… Estant éloigné de celle de qui dépent tout mon bien il est malaisé que je puisse avoir joie…
Cependant, je vous supplie d’avoir souvenance de celui qui n’a jamais connu qu’un Dieu et une amie, et vous assure que n’aurez point de honte de m’avoir donné le nom de serviteur, lequel je vous supplie de me conserver pour jamais…
Henry.
Diane pensa dès lors que les choses ne pouvaient pas rester longtemps à ce stade, le jeune prince risquant de mourir d’un coup de sang avant d’avoir ceint la couronne de France.
Allait-elle devenir la maîtresse du dauphin, après trente-neuf années de vie irréprochable ? La grande sénéchale se posa brusquement la question qu’elle écartait de son esprit depuis longtemps et fut prise de vertige.
Une existence nouvelle, extraordinaire, s’offrait à elle : maîtresse de Henri, elle pouvait, un jour, devenir la favorite du roi de France, l’adversaire triomphante de M me d’Étampes, et l’égérie toute-puissante d’un souverain faible et peu au fait de la politique.
Effarouchée et ravie, elle chercha à calmer sa conscience. La chose fut assez facile, car, avec cette charmante hypocrisie que possèdent les femmes, elle se trouva une admirable excuse : « Le dauphin est jeune, timide, gauche et sans expérience. Il est de mon devoir de l’aider à devenir un homme et un grand roi… »
Pénétrée de l’importance du rôle qu’elle avait à jouer, elle attendit désormais l’occasion.
Celle-ci se présenta quelques semaines plus tard à Écouen où le Grand Maître Anne de Montmorency avait invité Diane et Henri dans son fameux « château obscène », dont
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