Les héritiers
ce Dubuc. Quelle que soit sa motivation, s’il vous a recommandé, je peux vous faire confiance.
Taschereau les salua d’un signe de tête, puis quitta les lieux. Arthur Fitzpatrick demeura immobile un moment, les yeux sur son nouvel employé, comme s’il remettait en cause la décision prise six semaines plus tôt.
— Je vais vous présenter tout de suite à votre supérieur, conclut-il enfin. Il s’agit du chef du service, en quelque sorte. À Québec, il y a un autre avocat de la Couronne avec lequel vous serez aussi en relation, Arthur Lachance. Vous le rencontrerez éventuellement. Présentement, il se trouve sans doute dans l’édifice d’{ côté.
Il le conduisit dans la pièce voisine. Un vieil homme paraissait perdu dans un amoncellement de papiers, une multitude de lettres recouvrait la plus grande partie de son bureau.
— Basile, voici votre nouvel assistant. Je le laisse entre vos mains.
Le substitut du procureur s’esquiva sur ces mots. Comme l’employé ne bougeait pas de sa place, Mathieu prit l’initiative de s’avancer, la main tendue.
— Monsieur, je suis enchanté de vous connaître.
— . . Moi aussi. Dégagez le dessus de la chaise.
De vieux documents débordaient du siège réservé aux visiteurs. Il les posa par terre avant de s’asseoir.
— Connaissez-vous le rôle du procureur général ?
— Je suis en seconde année de droit.
Après une matinée { la Faculté, l’affirmation se révélait véridique. Comme l’autre demeurait silencieux, il se crut obligé de continuer :
— Le procureur général se charge des poursuites au nom du roi.
— Ce bureau reçoit les rapports des directeurs des postes de police, des laboratoires de médecine légale, les procès-verbaux des coroners. Selon la qualité des preuves accumulées, le substitut du procureur général chargé du dossier décide de poursuivre, ou non. Bien sûr, dans les cas les plus complexes, ou les plus délicats, il demande au patron.
Il voulait dire au ministre, Louis-Alexandre Taschereau depuis la semaine précédente. Mathieu hocha la tête. Il n’ignorait rien de cela.
— Vous voyez ce désordre ? Vous allez ouvrir le courrier, constituer des dossiers sur toutes les affaires, mettre les diverses pièces en ordre, puis vous me remettrez le tout. Je rédigerai de courts résumés pour Fitzpatrick ou Lachance.
Venez avec moi.
Il le conduisit dans une pièce attenante, une salle mal éclairée par une fenêtre étroite, encombrée de nombreux classeurs en chêne. Une table se trouvait dans un coin, avec deux chaises. Par terre, un panier d’osier contenait de nombreuses enveloppes.
— Le courrier s’est un peu accumulé pendant l’été. Afin de ne pas créer de multiples dossiers sur la même affaire, consultez ce registre. Et bien sûr, vous y ajouterez une entrée pour tous les nouveaux documents.
L’homme le contempla un moment, l’œil interrogateur.
Ses directives demeuraient si sibyllines qu’aucune question ne venait { l’esprit de son interlocuteur. A la fin, Mathieu acquiesça. L’autre retourna dans son bureau.
Demeuré seul, l’étudiant fit un tour complet sur lui-même, puis pesta :
— Dire que je me sentais malheureux à vendre des mouchoirs à de jolies femmes !
Il se laissa tomber sur sa chaise, allongea le bras pour prendre une missive dans le panier. Elle venait d’un juge de paix de Saint-Malachie, en Beauce. Le pauvre homme signalait le vol d’une vache. Véritable Sherlock Holmes des campagnes, il racontait par le menu son enquête et identifiait un suspect très sérieux.
*****
Affrontant toujours les difficultés de sa réinsertion à la vie civile, Mathieu appréciait son existence d’étudiant. Il retrouvait { l’université une routine familière, peu susceptible de laisser divaguer son esprit.
Les cours occupaient toutes les matinées. Il regagnait ensuite les locaux du procureur général pour prendre connaissance des vicissitudes de la vie de ses contemporains.
Dans la plupart des cas, il s’agissait de crimes mineurs liés à la misère, ou à la sottise. Bien sûr, certaines causes retenaient son attention pendant une longue période, il en retrouvait les échos dans les journaux.
En rentrant à la pension de la rue Sainte-Geneviève, il retrouvait les visages familiers de ses voisins. Les députés choisissaient de souper en ville un soir sur deux. Les étudiants ne jouissaient
pas
de
ressources
pour
se
permettre
un luxe pareil.
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