Les héritiers
fine, un visage avenant et des yeux curieux.
— Et aussi Victoire. Elle fera la cuisine pour tous les occupants de la maison.
La matrone d’une quarantaine d’années lui adressa un signe de la tête.
— Ces personnes ont bien voulu me suivre dans cette nouvelle aventure. Je leur en suis très reconnaissante.
Comme cela, je me sens un peu moins seule.- Elles travaillaient dans la maison. . de mon beau-fils.
Edouard s’activait présentement pour trouver du nouveau personnel. Dans l’intervalle, Evelyne devait assumer seule la cuisine et le ménage. Pendant un temps, elle garderait une petite rancœur contre sa belle-mère.
— Nous allons prendre le thé dans le salon.
La cuisinière se dirigea vers le poêle à charbon pour en vérifier la chaleur, puis, peu familière avec ce nouvel univers domestique, elle chercha la bouilloire un moment.
La grande pièce servant de salon donnait sur la rue et, au-delà, sur le jardin des Gouverneurs. Thalie demeura un moment debout devant une fenêtre.
— Vous jouissez d’un très bel emplacement, remarqua-t-elle, situé à deux pas de la terrasse Dufferin. En regardant un peu { droite, j’aperçois le fleuve. Les clients ne manqueront pas. Mais comment les gens sauront-ils que vous êtes « en affaires
» ?
— Demain, je mettrai un petit carton indiquant Rooms to let.
— Il y a des affichettes à la gare. Vous pourriez ajouter la vôtre sur le présentoir.
— Ce sera pour plus tard. Nous sommes ici trois personnes totalement ignorantes du fonctionnement d’une maison de chambres. Nous allons nous entraîner avec Mathieu, ensuite, je serai heureuse de voir les clients arriver au compte-goutte.
Elle adressa un sourire au grand jeune homme assis dans un fauteuil.
— Alors, mon grand frère continuera à se faire gâter.
Thalie occupa un siège près de ce dernier. Une tasse de thé à la main, le trio évoqua bientôt les projets d’avenir des jeunes gens.
Après une heure, Mathieu exprima le désir de monter à sa chambre. Sa sœur l’accompagna, examina les lieux en formulant des commentaires d’experte de ce genre de logis. Puis après une bise, les larmes aux yeux, elle s’esquiva bien vite.
*****
Comme convenu, à sept heures, le nouveau locataire se présenta à la salle à manger. Elisabeth, très élégante dans sa robe ivoire, un camée démodé au cou, l’accueillit d’un sourire timide. Deux couverts, de part et d’autre de la table, les attendaient.
— Il y a de la place pour douze personnes, quinze en se serrant un peu, nous aurons l’air un peu étrange tous les deux.
— Heureusement, nous n’occuperons pas chacune des extrémités. Le résultat serait plus curieux encore.
Elle prit place d’un côté, lui de l’autre. Ses lourds cheveux aux reflets vieil or, réunis en une construction compliquée sur sa nuque, captaient la lumière oblique venue de la fenêtre. Elle se coiffait toujours comme à la Belle Époque. Sa nervosité rendait ses gestes maladroits. Dès que Julie eut servi le bouillon, elle confessa en mettant sa serviette sur ses genoux :
— Je croyais être plus forte. De toute ma vie, voilà mon second souper dans ma propre maison. Avant, j’ai mangé chez mon père, dans divers réfectoires de couvent, chez mon employeur, devenu ensuite mon époux. Chez moi, j’en suis seulement au deuxième.
— Confidence pour confidence, j’en suis au premier.
Devant ses yeux interrogateurs, il précisa :
— L’armée ne compte pas, comme pour vous, le pensionnat.
La gamelle dans les tranchées non plus.
Elisabeth regarda discrètement le gant en cuir noir, puis elle admit :
— Je suis heureuse que ce soit avec moi.
Mathieu sourit en se souvenant de l’amabilité indéfectible de cette femme { son égard, comme { l’intention de sa sœur. Elle demeurait séduisante. Les plis aux yeux et { la bouche ajoutaient une part d’humanité { ce visage autrefois lisse comme le marbre le plus fin.
— Le plus étonnant, poursuivit-il, { moins d’une erreur de ma part, est que nous sommes pour la première fois à la même table. Je fais exception du mariage de votre fils. Vous êtes pourtant ma seule tante.
— . . Dans les circonstances, tu comprends.
Elle s’arrêta, incertaine de la façon de poursuivre.
— Vous savez, je connais les circonstances de ma naissance.
Alors inutile d’user de détours. L’absence de relations entre nos deux familles s’explique aisément. Mais nous voil{
ensemble,
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