Les héritiers
quelques candidats. Bientôt, un étudiant affreusement timide mais compétent se consacrerait à des recherches en plus de copier des actes.
— Il me reste si peu de temps devant moi, gémit la mère, et toi, tu engages des sommes importantes.
Le sujet de son décès prochain revenait dans la conversation avec une lassante régularité.
— Cela, ni toi ni moi ne le savons. D’ici l{, tu disposeras d’une pièce confortable, et les enfants et moi profiterons de ta présence.
L’homme marqua une pause, puis il reprit :
— Cela signifie aussi que nous partons demain pour la campagne.
— Où veux-tu aller, déjà ?
— À Saint-Michel-de-Bellechasse. C’est de l’autre côté du fleuve, un peu vers l’est.
La vieille femme y était allée en villégiature trente ans plus tôt, au début de son mariage. Elle avait constaté bien vite avoir peu de goût pour ce genre de dépaysement, et son défunt mari encore moins.
— Tu crois que cet exil est nécessaire ?
— Mercredi, dix hommes vont commencer à creuser à l’arrière, pour mettre les fondations.
— Grands dieux ! Cela va durer des semaines.
— Aussi, tu demanderas à la gouvernante de préparer ta valise.
Fernand se pencha sur elle pour l’embrasser, puis il quitta la pièce.
*****
Le déplacement de sept personnes et de leurs malles représentait un défi de taille. Deux voitures taxis stationnaient devant la grande maison de la rue Scott. Fernand offrait son bras { sa mère pour l’aider à parcourir la distance entre la porte et le premier véhicule. La gouvernante la tenait de l’autre côté. Après un effort considérable, la vieille dame se retrouva sur la banquette arrière. La domestique monta avec elle.
Eugénie se tenait sur le trottoir, maussade. Son visage exprimait toute sa frustration de se voir contrainte de quitter les deux pièces lui servant de refuge depuis presque cinq ans maintenant. Son mari ouvrit la portière avant. Elle devrait franchir toute cette distance avant de prendre place à côté du chauffeur.
— Même si Jeanne sera là, essaie de te rapprocher un peu des enfants. Tu es leur mère, après tout.
— Bien sûr, tu es un juge parfait des comportements maternels. C’est elle qui fait de toi un expert ?
Des yeux, elle désignait Jeanne, debout près de la seconde voiture. Elle tenait le plus jeune enfant, Charles, sur sa hanche, tandis que Béatrice, { deux ans, s’accrochait { sa main. Elle écoutait Antoine réclamer quelque chose avec insistance.
— Je ne pense pas être devenu un expert. Mais si tu demandes { l’un ou l’autre de ces chauffeurs qui est la mère de ces enfants, tu ne figureras pas en tête de leur liste.
Un rictus marqua le visage de la jeune femme au moment où elle monta dans la voiture.
— Je te souhaite un excellent voyage, ricana-t-il en refermant la portière.
Fernand se pencha pour passer la tête dans la voiture, embrassa de nouveau sa mère.
— Comment vas-tu faire tout seul dans cette grande demeure ?
— Je vais rédiger des contrats.
— Personne ne sera là pour faire les repas.
— Si je maigris un peu, cela ne me fera pas de mal.
Le notaire ne songeait pourtant pas { s’astreindre { un régime bien sévère. La ville recelait de bons restaurants pour satisfaire son appétit. Un moment plus tard, il s’approchait des enfants.
— Mais je veux monter en avant, dans la machine.
— Il y a de la place derrière, plaida Jeanne. Je vais garder Charles sur mes genoux tout le long du voyage.
— Je ne verrai rien.
La voix se montrait bien impérative. Fernand jeta un regard vers le chauffeur, puis il déclara :
— Si tu montes devant, il ne faudra pas bouger. C’est difficile, conduire. Tu ne devras pas déranger le monsieur.
— Je serai sage comme une image.
L’engagement paraissait sincère, mais le trajet serait suffisamment long pour éroder ses bonnes résolutions.
— Si tu t’agites, Jeanne va te prendre par le collet et te ramener en arrière.
— Non, elle ne fera pas cela.
Antoine vérifia cette certitude avec un regard en direction de la domestique, puis il grimpa difficilement dans le véhicule. Quand il fut assis, son père se pencha pour lui faire la bise. L’homme saisit ensuite sa fille sous les bras, la souleva pour l’embrasser bruyamment sur chacune de ses joues, provoquant son fou rire. Il la déposa sur le siège arrière. L’instant d’après, il se trouvait debout devant la domestique.
— Votre mère a
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