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Les hommes dans la prison

Les hommes dans la prison

Titel: Les hommes dans la prison Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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faut dominer pour lancer
un mot de grille à grille. On sort de ce hurloir la tête bourdonnante, pleine
de clameurs. Mais que de pardons, que de promesses, que de douleurs, que d’espoirs
désolés croisent là leurs essors pénibles – et s’abattent là, lourdement, les
ailes cassées, dans la glu…
    Un homme, une femme. Lui : de splendides épaules d’athlète,
un cou bas, un front bas de force ramassée, une sorte de feu noir dans les
trous profonds de l’arcade sourcilière. Lui, la terreur. Meurtrier. Elle, souple
et féline de la croupe aux seins, au chignon doré. – Elle l’amour, vendu la
nuit, donné le jour, fausse « sœur » venue aujourd’hui contempler son
homme et lui crier :
    – Je suis tienne, tu vois ! Jusqu’au fond de moi !
T’es mon homme ! Elle est tout entière collée au. tamis, projetée vers lui.
Puisqu’il a, pour elle, rougi son couteau ! Lui, les dents serrées, fixant
un regard trouble sur cette bouche offerte, donnée, mais irréelle, murmure avec
l’affectation du dédain de l’amour qui sied aux mâles :
    – Tu m’enverras du tabac.
    À droite, il y a une mère et son fils.
    Vingt minutes. La mère un peu plus pâle sort, d’un pas
hésitant, de sa cage. Elle est comme ivre. Le chapeau lui a glissé sur l’oreille.
Le yeux humides brûlent, la lèvre inférieure tremblote. – Elle aurait honte de
pleurer là devant « les gens ». Elle est pressée de sortir :
« La rue me fera du bien ». Elle pense – et les murs de la geôle
tournoient autour d’elle, anguleux, cassés, obliques, tombants…
    – « Ainsi, c’est vrai, tout est vrai, tout ce que
les journaux ont raconté. Mon Dieu ! Mon pauvre petit Marcel ! Mon
pauvre petit Marcel !… »
    … Il s’en va, de son côté, titubant un peu, lui aussi, accrochant
encore les yeux à l’image d’un douloureux visage de vieille maman naufragée. Sa
confession hurlée continue de trembler dans sa gorge. Mais c’est fini ; fini.
Quel soulagement ! Elle sait tout maintenant, tout : qu’il a fait ça
pour devenir aviateur…
    Dans sa cellule, il trouve le présent des mains maternelles :
un pot de confiture, du pain blanc, une boîte de sardines que l’on vient d’ouvrir.
Une chemise propre. La chemise est tachée d’huile.
    Dans les cellules voisines, des jalousies d’abandonnés sont
secouées par le fracas de la porte verrouillée.
    De temps à autre passent des inspections. Dans l’encadrement
de la porte se carre un monsieur à képi galonné. Derrière lui, le gardien de
service, le gardien-chef chamarré du poignet à l’épaule ou quelque gros
brigadier.
    – Avez-vous des réclamations à présenter ?
    Je n’en ai pas. Personne n’en a. Nul ne tient à se mettre à dos
des autorités toutes puissantes. Le mince garçon blême que son gardien a l’habitude
de traiter matin et soir de « s’pèce de salopiau ! », – bien
heureux quand il ne lui fourre pas « en douce », un perfide coup de
clef entre les épaules, – considère, plein de déférence, le képi brodé de trois
doigts d’argent, louche vers le mufle carré de son tortionnaire, regarde avec
des yeux haineux de bête aux abois – et se tait.
    Défense de siffloter, de chantonner, de se parler à haute
voix, de faire aucun bruit. En cellule la discipline est, semble-t-il, facile à
observer. Les punitions de pain sec, privation de cantine, cachot même, sont
pourtant distribuées chaque jour à un lot constant d’encellulés, la plupart
coupables d’avoir tenté de communiquer entre eux soit par la frappe, soit par
écrit, soit autrement encore. L’usage du « téléphone », par exemple, est
sévèrement réprimé. Les water-closets communiquent avec des tuyaux d’écoulement
reliant perpendiculairement les étages ; de sorte qu’en parlant dans l’orifice
on peut être entendu aux étages inférieurs et supérieurs. Par ce « téléphone »
original, de véritables conversations sont possibles, quoique troublées par d’intempestives
chutes d’eau et exigeant une grande habileté : le tout est de parler assez
haut pour être entendu à l’étage sans l’être dans la galerie de surveillance…
    Le règlement pourrait se résumer en trois mots catégoriques : Défense de vivre !
    Mais peut-on faire défense de vivre à des vivants ? Du
poids de ses puissants édifices de pierre, de ciment et de fer, la prison
massive affirme qu’on le peut.
    L’affluence des détenus ne

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