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Les hommes dans la prison

Les hommes dans la prison

Titel: Les hommes dans la prison Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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arrivant
là de vêtements. Première toilette de supplicié. J’entrevis un jeune camarade
revenu des assises, forçat. Sa chevelure venait de tomber, sa défroque « civile »
formait un paquet noir sur le dallage. Nippé de vieux droguet montrant la corde
aux coudes et aux genoux, les bras ballants, des larmes lentes lui rayant de
lignes droites la face inanimée, il contemplait stupide cette tache d’étoffes
noires à ses pieds.
    … En haute surveillance, l’isolement se rétrécit. Plus de
communications fortuites à la promenade. La porte ne s’ouvre presque jamais en
même temps qu’une autre. Un gardien la déverrouille, le condamné chaussé de
chaussons trouve sur le seuil une paire de sabots rarement à sa taille. À trois
pas le gardien qui doit l’accompagner l’attend. Au bout du corridor le gardien
qui surveille la porte des préaux. Trois paires d’yeux.
    La nuit l’électricité toujours allumée pique un point d’indigente
lumière au milieu du plafond comme au milieu du crâne de l’homme en proie à l’insomnie.
La pensée vacillante et le cauchemar gravitent autour du fil de platine
incandescent, tant que ne l’emporte pas la fatigue.
    Presque pas de graffiti. Un, au ras du plancher, dissimulé, mystérieux : Antoine, guillotiné le… Sans date !
    La mort est peut-être la plus naturelle des peines
étant partout dans la nature qui n’admet à l’imprudence du nageur, au faux pas
du montagnard, au duel de l’homme et du tigre dans la jungle, au long duel de l’homme
avec le froid, la faim, l’univers que cette sanction à la fois première et
ultime. La peine de mort est peut-être la plus humaine des peines en
deux graves significations du mot. Parce que depuis des millénaires les hommes,
se distinguant ainsi de la bête, en font un usage quotidien, de clan à clan, de
tribu à tribu, de cité à cité, d’État à État, de société à société. Le Tu ne
tueras point du Décalogue est, en sa simplicité lapidaire de texte tronqué,
un grossier mensonge. Jamais on ne le pense. Toujours la loi morale fut : Tu
ne tueras point ton frère de tribu, de cité, de nation ou de classe et
complétée par l’autre impératif non moins catégorique : Tu tueras l’homme
de l’autre tribu, de l’autre cité, de l’autre nation, de l’autre classe ! La
plus humaine aussi parce qu’elle abrège toute souffrance. Sur ce dernier
point la civilisation moderne en est arrivée à un raffinement de cruauté bien
paradoxal. Comptant peut-être, de même qu’elle compte en tout avec l’exploitation
à fond de la capacité de travail du pauvre tenaillé par la faim, avec l’exploitation
pénale, à fond, du vouloir-vivre, sa sensibilité hypocritement calculatrice
préfère souvent à la peine de mort des peines perpétuelles que seule, de règle,
termine la mort après d’interminables années de tourment. La Belgique, l’Italie,
la Suisse, enferment à perpétuité leurs « plus grands criminels ». La
France et l’Allemagne accordent à certains condamnés à mort la grâce d’une
peine perpétuelle, pire en réalité que la mort. Un grand avocat français, auquel
l’affaire Dreyfus fit une réputation d’esprit chevaleresque, proposa jadis l’abolition
de la peine de mort et d’y substituer « six années de réclusion absolue »,
six années d’épouvantable claustration, six années de marche dans les ténèbres,
vers la démence et la mort infaillibles ! Le geste d’un poing armé de la
flamme courte qui fracasse un front n’est pas plus atroce, en soi, que tout
geste de guerre – et bien des gestes de paix. Il l’est moins, si l’on en juge
par la quantité de souffrances et de mort semées, que celui de l’habile
homme d’affaires déterminant par une heureuse spéculation sur les charbons une
hausse de trois sous les cinquante kilos, dont mourront dans la grande ville, avant
la fin de l’hiver, quelques centaines d’enfants de pauvres.
    Un geste ne vaut que par la fin poursuivie et le résultat
obtenu. De façon voilée ou masquée, on a besoin contre nous, peuple du travail,
de la peine de mort d’usage immémorial. Nous en avons besoin, nous aussi, pour
que cela finisse ! Le meurtre fermera le cycle du meurtre, car on ne sort
de la guerre que par la victoire ; car il n’est permis qu’aux vainqueurs d’être
libérateurs – s’étant libérés. Dans la guerre des classes, pareille à l’autre, mais
dépouillée des hypocrisies,

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