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Les hommes dans la prison

Les hommes dans la prison

Titel: Les hommes dans la prison Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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des
gambettes, un petit mouvement comme ça en marchant, des petites joues rouges
comme des pommes… et les joues, vous savez, me font toujours penser à des
petites fesses qui tiennent toutes dans la main…
    Une quinte de toux secoua, là-bas, Van Hoever, le 15. Il eut
l’air d’un magot malade, cassé en deux, la poitrine vide, et il cracha
longuement. Gobin se retournait laborieusement dans son lit, les lèvres pincées
sans doute pour ne pas gémir. Ensuite les deux vieux se regardèrent. On les
entendit renouer leur conversation.
    – C’est un salaud, disait van Hoever, dont la voix n’était
plus qu’un souffle. N’y a qu’à le laisser crever, c’est moi qui vous le dis…
    Madré poursuivant son idée, concluait :
    – Car moi, mon ami, je suis un vieux cochon. Il n’y a
que ça de vrai, allez !
    Un rayon de soleil tombe dans la fenêtre, illuminant le
matin blanc. Le rire grêle de Petit Georges coupe le râle de l’agonisant et se
confond un instant avec lui.
    Puisqu’il meurt, le père Vincent, on est venu le voir. Il
semble que l’homme devienne plus intéressant avant de s’en aller. Jusqu’ici on
ne s’était occupé de lui que pour le punir, on ne l’a jamais considéré que
comme le 5231, condamné à dix ans. Or voici qu’il redevient une créature
humaine, étant le mourant.
    La salle se fige. Plus un chuchotement ne monte des lits. Madré
s’efface, muet, arrangeant l’oreiller, la courte-pointe et regarde en-dessous. Les
deux vieux, en face, sont pareils à des figures de cire desséchées, sans vie
depuis longtemps. Des voix assurées, où s’exprime une suffisance autoritaire, s’élèvent.
M. le gardien-chef, bedonnant, jaune d’une mauvaise fièvre rapportée des
colonies, la moustache hérissée, galonné de noir et d’argent du poignet à l’épaule,
fait son entrée. Et M. le contrôleur civil, en pardessus vert-bouteille, les
mains derrière le dos tenant un calepin. Il a, sous son képi, un petit visage
couperosé, à lorgnons. Et ses yeux, vert-bouteille aussi, semblent liquéfiés. Le
gardien infirmier, qu’on appelle le Juteux, suit respectueusement à trois pas. On
l’entend expliquer que c’est Vincent, Augustin, et que Vincent Augustin, va
mourir.
    Ces messieurs regardent Vincent, Augustin. Sent-il sur sa
face où le sang ne monte plus qu’à petits coups rares se poser ces regards
froids qui ne voient rien de sa misère et de sa douleur ? Il rouvre les
yeux. Ses prunelles se raniment une seconde d’une vie concentrée. Le paravent, les
uniformes, la salle blanche où s’accroche au plafond un rayon de soleil, il a
tout vu… Un murmure remue ses lèvres. Mais on n’entend rien, rien que le râle
de sa gorge chargée de glaires.
    – Oui, oui, dit M. le contrôleur civil.
    Et ils s’en vont. Un silence infini s’écroule sur le père
Vincent. Quelques pensées encore errent dans sa cervelle lentement obscurcie. Voici
trois ans que ces gens le regardent mourir avec la même indifférence.
    Autre visite. M. le chanoine-aumônier, qui remplace
à la prison un jeune prêtre envoyé au feu, roule rapidement sur ses jambes
courtes vers le lit du mourant. M. le chanoine a un bon visage respectable,
les tempes garnies de nobles mèches blanches. Toute sa personne – face bien
rasée, replète et rose, bouche aristocratique et gourmande, nettement découpée,
jeune encore – du visage aux moindres détails du vêtement (rabat amidonné et
ruban violet), respire une propreté heureuse, un grand confort d’homme bien
nourri, à qui la vie n’a dévolu ni fatigues ni fardeaux. « … Mon ami, mon
ami… » Il salue à droite et à gauche d’un sourire grave. Et devant le lit
du père Vincent, M. le chanoine se recueille. L’homme paraît sans
connaissance.
    – M. le chanoine ! appelle van Hoever
timidement.
    Aux profondeurs de son calme, le moribond entend sans doute
un bruit et des voix. Que vient-on le troubler encore ? M. le
chanoine n’a jamais songé au père Vincent, quand celui-ci crevait de faim, quand
il passait des cinq jours au pain sec, quand il restait six mois sans nouvelles
de son fieu [23] ,
seul au monde, comme un vieil arbre tombé en travers du chemin et que l’on dédaigne.
Un dernier orage s’amoncèle dans l’âme du vieil homme qui se battit à Beaugency,
travailla ferme cinquante et un ans, souffrit trois ans de la prison sans
rencontrer jamais de chrétienne pitié… L’infirmier dit :
    – M. le

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