Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I
peut-être sa grande passion ; le refus de vivre avec Allen l’une de ces rencontres qui s’effacent avec l’aube, et l’on ne sait plus quelques semaines plus tard, ce que fut la nuit, si même elle fut partagée.
— Vous êtes américaine, n’est-ce pas, journaliste ?
Karin Menninger s’était décidée à s’asseoir près de Tina qui semblait distraite.
À la question de Karin, Tina sursauta, sourit. Elle avait dès le début de la soirée remarqué Karin Menninger. Cette grande femme au corps un peu lourd, au visage sévère, avait un regard timide et sa manière hésitante de se lever de table, de sourire, d’accompagner ses invités au salon, était pleine de charme. Elle était sûrement plus âgée que Karl Menninger mais elle avait des attitudes juvéniles, spontanées qui faisaient oublier les années.
— Journaliste, répondit Tina, américaine oui.
Elles bavardèrent un moment, de la vie à Berlin et à New York, puis Tina dit presque malgré elle car elle fuyait toujours les confidences :
— Vous avez des enfants ?
Le visage de Karin s’épanouit. Elle murmura « un fils, Dietrich » prit le poignet de Tina : « Venez, dit-elle, il doit dormir, mais je vais toujours le voir dans sa chambre. »
Elles parcoururent un couloir encombré de meubles, Karin ouvrit une porte. Une lampe de chevet éclairait une grande pièce. Tina vit d’abord sur une chaise, un uniforme, le brassard à croix gammée rouge barrant la manche de la chemise kaki, des bottes noires. Karin s’était penchée sur le lit. Tina aperçut Dietrich, ses cheveux blonds mi-longs, son teint très clair, son sourire ; des cils longs lui donnaient un air de petite fille.
— Il est très beau, chuchota Tina.
Elle ressentit une crampe, au-dessous de l’estomac, comme quand on a faim. Elle eut envie de grossir, elle sut ce que serait le poids des seins et du ventre si elle était enceinte. Comment il lui faudrait se cambrer les dernières semaines pour porter l’enfant, et l’assurance que ce poids lui donnerait. Elle serait collée à la terre, les pieds bien à plat, alourdie à jamais par la maternité. Elle eut envie d’en finir ainsi avec ses errances, cette liberté qui la faisait quitter New York pour Berlin, sur un coup de tête. Elle serait amarrée. Je vais avoir un fils d’Allen, pensa-t-elle avec une détermination si violente qu’elle eut l’impression que tout son corps se recroquevillait autour de cette idée. Elle s’appuya à la chaise, la main posée sur l’uniforme de Dietrich.
— Je suis obligée, murmura Karin, en montrant l’uniforme. Mais je ne veux pas qu’il entre dans l’armée plus tard, je ne veux pas.
Karin secouait la tête, les lèvres serrées.
Elle referma la porte de la chambre, s’y adossa.
— Mon premier mari a été tué le deuxième jour de la guerre, le deuxième jour. Dietrich…
— Il est très jeune, dit Tina. Avant qu’il devienne soldat…
Elle s’interrompit, se souvint de l’uniforme, des défilés des jeunesses hitlériennes sur Unter den Linden, la rangée des seize tambours qui précédaient les cohortes avançant au pas cadencé.
— La guerre vient vite, dit Karin, on ne comprend pas, quelques heures, et ceux que vous aimez… J’ai connu cela.
Elle respira profondément, dit :
— Il est beau, n’est-ce pas ?
— Très beau, répéta Tina.
Kostia Loubanski vit Tina Deutcher et Karin Menninger rentrer au salon. Elles paraissaient se connaître depuis longtemps, bavardant en complices. Pourtant, à l’ambassade, le responsable du renseignement, Probichev, avait assuré que Tina Deutcher venait pour la première fois en Allemagne. Mais rien ne pouvait être affirmé avec certitude, jamais. Kostia Loubanski se tourna vers le colonel Klein, qui fumait en silence.
— Vous aimez la chasse, colonel ? demanda-t-il.
Klein sourit, parut réfléchir.
— Tout dépend du gibier. Quand nous étions chez vous, nous chassions à cheval, du côté de Koursk, des renards, des loups. Mais – il inclina la tête – vos officiers étaient les plus adroits.
— Des cosaques, sûrement, dit Kostia. Ils naissent à cheval.
Klein écrasa son cigare avec minutie.
— Ici, dit-il, je crois que nous serions meilleurs chasseurs.
— Tout dépend du gibier, répondit Kostia en riant.
Colonel Klein, commandant Menninger : des officiers de l’Abwehr, avait indiqué Probichev. Klein, l’homme de l’amiral Canaris.
— Que
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