Les hommes perdus
retour de la Terreur. Puis, passant outre à l’interdit lancé par la Convention, elle convoqua les électeurs parisiens pour le lendemain, 11 vendémiaire. On se réunirait dans la salle du Théâtre-Français. Pour comble, elle plaça cette réunion sous la protection de la garde nationale, que la Convention avait défendu aux assemblées de faire marcher.
Était-ce cette fois la guerre si souvent déclarée depuis un mois et toujours éludée ? Claude le croyait. Louvet aussi. Gay-Vernon également. Mais Bordas, venant un peu plus tard au café Payen, dit qu’au pavillon de la Liberté on demeurait fort tranquille. Les agents de la police comme ceux de la Sûreté étaient positifs : la section Le Pelletier n’entraînerait pas même le tiers des autres. Les bourgeois monarchiens se refroidissaient sans cesse. Quant aux faubourgs exaspérés par les arrestations de patriotes, poursuivies et même accrues malgré la défense de la Convention (les autorités sectionnaires ne réincarcéraient-elles pas les « terroristes » mis en liberté par le Comité de Sûreté générale !), ils réclamaient des armes pour les tourner contre leurs ennemis naturels.
Les girondistes Faye, Rivaud du Vignaud, Lacroix, Soulignac arrivèrent à leur tour. Toute la délégation de la Haute-Vienne avait assignation dans ce café familier aux centristes. Il s’agis-sait de s’entendre sur les hommes à faire élire, si possible, par l’assemblée départementale qui allait opérer à Limoges. Au moyen de sa correspondance limousine, Claude savait que les royalistes, fortement soutenus par les ci-devant Amis de la Paix, briguaient les nouveaux sièges à pourvoir, outre le sien et ceux de Lacroix et de Faye désireux de se retirer. Or tous les conventionnels limousins, anciens Brissotins ou anciens Montagnards, s’entendaient pour mettre le royalisme en échec. À sa propre place, Claude proposait Louvet. Avisés déjà, Bordas et Gay-Vernon avaient donné leur entier consentement. Par ses aventures durant la Terreur, Louvet était devenu quelque peu limougeaud. Leur récit dans ses Mémoires, la façon dont le brave voiturier Cibot puis le bon Champalimaud l’avaient « passé », à la barbe des Hébertistes, et sa reconnaissance exprimée avec émotion dans son livre, lui valaient une grande estime, ainsi que sa conduite une fois rentré dans la Convention. Aux dires de M. Mounier et de Pierre Dumas, pas un royaliste ne tiendrait devant lui.
Bien entendu, Rivaud du Vignaud et les autres rescapés de la Gironde comme Louvet s’empressèrent d’applaudir à sa candidature. Soulignac le remercia de faire cet honneur au Limousin. Le second siège, Rivaud, Lacroix et Faye dirent que leurs amis dans le département – anciens partisans de la Gironde « ministérielle » – y porteraient Jacques Lesterpt, le frère du malheureux Lesterpt-Bauvais guillotiné avec Brissot et Vergniaud. Cela aussi, Claude le savait par les lettres de son père, de Pierre Dumas, du vénérable F. Nicaut. Lesterpt serait aux Cinq-Cents un tiède républicain mais un centriste très honnête, opposé à l’absolutisme. Gay-Vernon, Bordas l’acceptèrent volontiers ; on décida d’écrire à Limoges en sa faveur.
« Pour les autres sièges, demanda Claude, avez-vous des candidats ? »
Ils en avaient, il ne l’ignorait point. Gay-Vernon pas davantage, que son frère cadet tenait au courant.
« On pense avec beaucoup de sympathie, dit Rivaud du Vignaud, à Brival. Au cours de ses missions dans la Haute-Vienne, il a montré en même temps que son républicanisme un esprit de justice et de modération fort apprécié.
— Brival est assurément un homme de cœur. Je le verrai avec plaisir siéger parmi vous. Surtout si vous lui adjoignez Audouin, lui aussi républicain sincère et honnête. Vous répareriez de la sorte les injustices qu’il a subies depuis Thermidor. »
On s’accorda là-dessus. Claude ajouta : « Et pour le Conseil des Anciens ?
— Ton ancien confrère, l’accusateur public Guineau, et Jeverdat-Fombelle.
— Tout cela me semble parfait.
— Permettez-moi de vous féliciter les uns et les autres, citoyens, déclara Louvet. Vous donnez un exemple réconfortant. Je serai fier d’appartenir à une députation où l’on montre une si touchante concorde. »
Gay-Vernon dit quelques mots au sujet de Guillaume Dulimbert. Compère lunettes, sorti de la Visitation avec Préat, Foucaud et autres
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