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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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d’éclat, de talent même, ne comprenait à tout prendre que des médiocres, estimait Claude. Leur « république des honnêtes gens » serait celle des intrigues politico-mondaines, de la vanité, du profit. Et par leur complaisance d’instinct envers les émigrés, leurs semblables, ils se faisaient les aveugles auxiliaires de ce qu’ils entendaient combattre, jugeait-il.
    Il déchira son article en disant simplement : « Demandes-en un à Chénier. Pour moi, je ne saurais écrire autre chose. »
    Triste, il pensait que son association avec Louvet ne durerait plus longtemps. Était-il donc destiné à laisser successivement tous ses amis sur la route ? Après Barnave, Desmoulins, Danton. Après Danton, Robespierre. Après Robespierre, Louvet… Du moins cette amitié-là ne se terminerait-elle pas sous le couperet !
    En retournant à Neuilly, dans sa tristesse il se défendait mal contre les regrets et les remords qui le poignaient au souvenir de ses compagnons sacrifiés. Emporté par la violence de la lutte, il avait condamné Desmoulins, Danton ; il avait déchaîné contre Robespierre la meute des hommes perdus. Ce faisant, il s’était lui-même mutilé. Longtemps saigneraient ses blessures. Dans l’effroyable mêlée de l’an II, les êtres disparaissaient, on se battait contre des entités, on se ruait sur ses amis qui ne représentaient plus que des adversaires. À présent, pourrait-il oublier la douceur si affectueuse de Maximilien, la chaleur de Danton, le charme primesautier de Camille !
    Le temps, la mort effaçaient les défauts, les vices. Seuls subsistaient les bons souvenirs : autant de couteaux. Non, décidément, il ne romprait pas avec Louvet. Finis, les emportements de la colère.
    Mais, le 19, dans la tribune des journalistes, à la Convention, il se rendit compte que la colère bouillonnait sourdement sur les banquettes bleues envahies par les patriotes. Le recul de l’Assemblée les indignait. Sans réclamer vengeance pour ce qu’ils avaient souffert depuis Thermidor, ils attendaient des réparations. Leurs pétitionnaires, à la barre, les revendiquaient maintenant avec force : élargissement des « terroristes » encore détenus, destitution des officiers nommés par Aubry, rétablissement de ceux qu’il avait renvoyés, réintégration des représentants décrétés en germinal et en prairial et leur inscription sur la liste des éligibles au Corps législatif. Les Montagnards subsistant sur les banquettes vertes s’empressaient de transformer ces demandes en motions et les présentaient à la tribune, soutenus par les applaudissements du public.
    Tallien, Fréron, revenus au premier rang de la Montagne, peinaient à contenir leurs propres troupes. Ils réussirent à faire rejeter le rappel des députés proscrits. Et, malgré ses dispositions pacifiques, Claude s’en irrita.
    « Vous vous comportez d’une manière absurde, déclara-t-il à Fréron et à Tallien dans la salle de la Liberté. Que vous ne vouliez plus entendre les carmagnoles de Barère ni revoir ici Billaud-Varenne, Collot d’Herbois, je le comprends. Mais Lindet, Saint-André, Levasseur, Cambon, Chasles, Moïse Bayle, Prieur de la Marne ! Je ne parle pas pour moi, je ne désire pas de siège.
    — On ne pouvait toucher aux décrets des 5 et 13 Fructidor…
    — Nul besoin d’y toucher ! Il vous demeurait parfaitement loisible de rappeler dans la Convention les députés proscrits sans avoir été condamnés, comme on l’a fait pour les Soixante-Treize. Vous jouez un jeu de dupes, je vous le dis tout net. En ménageant la chèvre et le chou, vous passez aux yeux des Montagnards pour alliés secrets des monarchiens, et aux yeux des monarchiens pour d’indécrottables sans-culottes.
    — Nous obéissons à notre conscience, nous ne ménageons rien.
    — Je le crois en ce qui concerne votre avenir. Savez-vous ce qui vous pend au nez ? De n’être pas, vous-mêmes, élus au Corps législatif. »
    Comment ne pas s’encolérer aussi devant l’insolence des royalistes ! Ils avaient impudemment repris leurs menées. Ils provoquaient des rixes que les députés de la droite imputaient rageusement aux patriotes. Dès l’ouverture des assemblées électorales, le 20 vendémiaire, les partisans du trône firent nommer Saladin et bientôt après le furieux Rovère. La conspiration se révélait dans toute son étendue. La retraite de Jourdan, ramené vers le Bas-Rhin, ne laissait aucun

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